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Edito

Le Duende du conteur

« Le Duende, tel qu’on le conçoit classiquement, est un moment « magique » où entre l’artiste, où tout marche, tout coule, où il se dépasse, comme inspiré, faisant merveille ; et son public est transporté. L’instant est unique et non reproductible à l’identique. Le souvenir indélébile. J’ai simplifié, mais la littérature sur le sujet est vaste. Pourtant, dans mon souvenir, il y avait un élément supplémentaire que je ne trouve pas analysé dans les écrits sur ce sujet. J’aimerais en témoigner ici.

J’ai vécu cette magie une unique fois dans ma vie, lors de circonstances spéciales où je contais un conte très court alors que ce n’était pas prévu. Ce qui m’a semblé le plus fort et impossible à créer par moi-même ni par le travail, c’est un souffle de partage qui soudain s’est élargi à l’extrême et est venu tout embraser, tout embrasser. L’union avec les autres - le public – était telle, qu’elle est devenue première, essentielle et a fait, en quelque sorte, disparaitre l’artiste. Je me souviens que mon cœur n’avait cure de briller ou bien faire ; la « représentation » n’existait plus, je n’étais plus une artiste « face » au public.

Une contagion puissante avait saisi les gens. Je veux dire que si j’avais été chanteuse, tout le monde aurait chanté. De même je voyais les gens suivre des lèvres, articuler silencieusement les mots, comme s’ils savaient le conte ; ils semblaient prononcer le conte en chœur avec moi, comme si leur cœur le recevait au delà des mots et que cela leur appartenait. L’espace d’un instant, nous étions tous conteurs.

A la fin, j’ai applaudi autant qu’eux. Nous applaudissions l’instant, cette ouverture plus vaste que nos cœurs, cette disparition, cet embrassement, cette prononciation silencieuse et collective... Plus qu’un partage, c’était une unité - que j’essaie de décrire malgré la faiblesse des mots.

Cette « disparition » qui m’a tant interpelée est restée comme une remise en question dans mon for intérieur. Et si l’artiste ne jouait son véritable rôle qu’au moment où il disparait ainsi et rend son art "contagieux" ? Voici un bon sujet de méditation pour cet été ! »

Catherine Zarcate