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Edito

La mémoire du conteur

« On croit toujours que le conteur doit avoir une bonne mémoire. En réalité, c’est plus la compréhension des structures et l’apprentissage des styles et langages qui lui tiennent lieu de support, plutôt que la pure mémoire. Le conteur ne fait jamais l’effort d’apprendre, il me semble. Il fait l’effort de voir, rêver, imaginer, se mettre dans la peau de ses personnages, comprendre des situations humaines.

La mémoire, elle, fait alors son travail. Elle inscrit les visions, les psychologies, tout ce que contient le conte, elle l’inscrit dans un lieu qu’elle tient à l’écart, car rien de tout cela ne se mélange avec la réalité du conteur.

La mémoire se souvient aussi des mises en espace, aidée en cela par la mémoire corporelle. Si bien qu’on peut faire revenir un sentiment en en retrouvant les gestes et postures, comme font les danseurs.

La mémoire se souvient d’une musique, d’un rythme spécifique à un conte. Comme si elle savait reconnaitre une rivière à son bruit. Fracas ou doux flotté, cela non plus ne se mélange pas. Chaque conte est sérié avec sa musique.

Il y a de l’archiviste dans le conteur ! Mais pas seulement. C’est très sensuel, de se souvenir d’un conte, le rappeler, très exactement. Comme on rappelle quelqu’un pour le faire revenir. Car le conte est une entièreté. Une entité complète, et conservée ainsi dans la mémoire.

Foin de Propp et autres Analyses Thématiques ! Ce ne sont pas d’eux que l’on se sert pour rappeler le conte et qu’il vienne, fringuant, vaillant et prêt ! Appelle t’on un humain en nommant ses morceaux ? Appelle t’on ses pieds pour le faire venir ?

Le conte vient, revient, comme un tout, un bloc, comme un humain, en quelque sorte. Et quand il est là, eh bien il est là tout entier !

C’est pourquoi la mémoire peut faire confiance et lâcher prise : si on rappelle un conte qui dormait depuis des lustres, et qu’il entend, se lève et vient, alors il viendra en entier ! C’est quand on n’est pas sûr de cela qu’on s’attèle à des Propp et AT – qui ont leur heure de gloire, mes Lents peuvent en témoigner ! - pour aider la mémoire. Mais le temps de conter n’est pas celui d’analyser. Et l’erreur serait grande de s’appuyer sur l’analyse au moment où coule le récit.

La mémoire est donc globale, sensitive, impressionniste, comme elle a l’habitude de faire pour nos moments de vie. C’est cela qu’il faut bien comprendre, car alors on saura la nourrir et elle nous servira de manière sûre, au moment juste. »

Catherine Zarcate