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Edito

Les mots : Envergure, Nid et Rugby

« Offrir à son conte un espace/temps d’essai avant prestation. Un temps libre d’effort, de recherche, de réussite programmée. Un temps d’essai « pour rien ». Un temps pour lancer les mots dans l’air et voir où ils vont, où ils nous emmènent, ce qu’ils font quand ils sont vivants, prononcés, lancés, comment ils s’organisent ensemble tous seuls. La tête a de grandes idées sur les mots ; mais les mots font ce qu’ils veulent ! Il faut donc les laisser nous surprendre et contempler leurs inventions !

Les mots aiment qu’on leur offre un vaste espace, une salle de danse où évoluer gracieusement. C’est leur rêve. Ils prennent nos palais de bouche pour des coupoles sous projecteurs. Ils espèrent s’y unir en des combinaisons nouvelles et inouïes, se percuter en trouvailles éblouissantes, cueillir dans l’invisible les résonances les plus fines, ou bien se retrouver soudain seul sur le devant de la scène, unique, parfait, telle une diva crevant l’écran !

Oui, les mots sont des stars. Ils aiment les conteurs qui les aiment tant, certes. Mais plus encore, ils aiment l’air ! Cet air qu’on bouge autour de nous quand on ouvre les bras et tournons sur nous-mêmes. Cet espace, les mots le veulent aussi ; un espace pour évoluer, vibrer, être porté, sentir leur portée... Les mots aiment cette largeur, cette vastitude, cette amplitude qu’on ressent quand où on est encore seul avec soi-même dans l’espace, avant de rencontrer l’autre : l’envergure.

A l’écrit aussi, les mots ont une envergure. Ce sont les espaces blancs qui les séparent. Le blanc est le nid du mot. Chaque mot y engrange tout ce qu’il veut dire, en plus de lui-même… Bien sûr, les mots savent que le blanc des marges et des lignes est une lumière sur laquelle ils dansent…Seuls les poètes savent mettre en valeur, à l’écrit, les différentes envergures des mots, en laissant des blancs inégaux.

Eh ! bien, quand on raconte, c’est pareil, sauf que c’est dans notre air, notre respiration, notre souffle, notre rythme, que les mots trouvent leur espace et dans nos silences qu’ils placent leurs nids. Les mots sont contents, quand un conteur laisse jaillir du silence les secrets de leurs nids !

Mais les mots aiment aussi rire et apprécient les délires du conteur, sa faconde, son goût immodéré des énumérations interminables, ses descriptions exhaustives, ses débordements improbables, ses allitérations risquées et autres gourmandises verbales. Bref, si les mots se retrouvent soudain amalgamés en un gros paquet, serrés les uns contre les autres, emmêlés, collés sans espace aucun, ils en sortent en s’ébrouant et remarquent avec un flegme tout britanique : « Waohh ! Bonne séance de Rugby ! »

Catherine Zarcate