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Edito novembre 2014

Flaubert, Vinci, Stevenson et nous…

« En lisant « Le Bonheur des petits poissons » de Simon Leys, (voir rubrique J’aime ci-dessous), j’ai découvert avec jubilation la notion « d’images eidétiques », une vision mentale précise, méditative, qui se forme dans l’esprit du peintre bien avant qu’il ne prenne le pinceau, de l’écrivain bien avant qu’il ne prenne la plume, et que nous autres conteurs connaissons comme notre lieu par excellence. Flaubert en parle comme contenant infiniment plus qu’il n’écrira : « dans le passage que j’écris immédiatement je vois tout un mobilier, (y compris des taches sur les meubles) dont il ne sera pas dit un mot.. ». Ne connaissons-nous pas cela, nous autres conteurs ? Ne jouons-nous pas sur cela pour y trouver notre concision et la puissance de nos images ? Ne prenons nous pas le temps, tel le peintre chinois, de méditer longuement notre conte pour finir par le dire sur scène d’un seul trait, sans reprise ni rature possible ?

C’est un immense plaisir que cette découverte, qui lie notre art aux autres de manière intime, par le processus même de création. Nous manquons souvent de mots, de références, pour expliquer notre travail. Voilà de quoi s’affilier honorablement !

Et, s’il vous plait !, Simon Leys rapporte une réponse de Léonard de Vinci à qui on reprochait de rester de longs moments « à ne rien faire » ! Ou Daumier qui contempla des canards des heures durant sans crayon ni papier, et dont les dessins, une semaine plus tard, éclataient de vérité et de vie.

La vision ne suffit pas : il faut encore ne pas tout dire. Notre art, semblablement, est cousin de celui d’omettre dont parlait Stevenson comme une qualité majeure de l’écrivain. La puissance expressive se perd quand elle est surchargée par les détails d’une vision prolixe. Savoir évoquer en trois mots - alors qu’on a une vision complète - fonde notre travail. Se perdre dans les détails, tout décrire est, nous le savons, une erreur de débutant.

Nous voici donc en bonne compagnie ! De telles références sont plus qu’utiles pour se faire mieux comprendre des institutions, critiques, etc. Merci Flaubert ! »

Catherine Zarcate