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"Sentir les rythmes, oser les contrastes"
Préparation au stage pratique, par Catherine Zarcate

Préparation au stage « sentir les rythmes, oser les contrastes » par C. Zarcate

- 1. Définitions : rythme et pulsation

La pulsation fait « poum, poum, poum, poum » etc. toujours pareil, même intervalle.
Le rythme commence à « pa poum pa poum pa poum pa poum ». le cœur bat un rythme en deux pulsations.
Et le swing fait « pa poum pa tich tchi toi toi toi pa tchi tchi tick ! hé !! ».
N’est-ce pas ?
La pulsation est proche du « temps » des rythmes de musique : quand on « bat la mesure » à 4 temps, à 6 temps.

- 2. Ragas, jazz et contes

Ma référence traditionnelle personnelle dans mon travail : l’art du raga indien : Sous le flot impétueux et libre du chanteur, le musicien averti peut toujours reconnaître et battre de la main le rythme parfois extrêmement complexe en 12 temps, voire en 16 temps, qui le sous-tend.
Sous le rythme, c’est la pulsation qui se divise en 12 ou en 16 ; elle bat l’unité. C’est la tampoura (mon instrument de musique qui accompagne mes récits) qui donne le tempo. Le joueur de Tampoura ne doit jamais se laisser influencer par le chanteur, quelle que soit sa virtuosité, ses délires, sa vitesse, mais égrainer ses notes toujours très régulièrement).
Le jazz est proche de cela, aussi : solo de clarinette sur fond de bourdon de contrebasse, par exemple, vous voyez ?

Dans le conte : la pulsation est la base profonde de votre vitalité, de votre souffle, de votre accord avec le conte, aussi.
Et sur ceci, l’anecdote du récit déroule son fil plein de contrastes. La magie vient si en dessous reste permanent votre « poum poum poum poum » bien installé !
Vous faites toutes les voix, les chœurs, le solo et le bourdon, mais aussi les ornements et les raccourcis, etc. la voix joue sa partition, les émotions la leur, le sens la sienne, et tout cela se mêle, comme un chœur, au dessus de la pulsation qui, elle, reste inébranlable !
Le conteur est proche du jazzman. A quand le free conte ?

- 3. Tempo naturel et gestes de travail

D’où ma phrase : « Le secret de la qualité d’une œuvre d’art est dans sa pulsation » (qui m’est venue en rêve, il y a plus de 20 ans, après avoir vu 200 tapis d’Orient en 3 jours, avec mon petit frère qui ne se décidait pas pour son achat !!! J’avais pendant ce temps reçu, comme physiquement perçu, le rythme des tisserandes ! Et elle m’ont dit cela, au fond. Elles en connaissent un bout, sur le rythme. Et le résultat est visible, n’est ce pas ? )
Ce qui est important, c’est que ce tempo est naturel.
Sur mon site, j’ai dit cela d’une autre manière : « Conter comme on tresse un panier, se laisser emporter par la pulsation qui fait naître les œuvres d’art... »
L’idée de tresser un panier renvoie à une activité manuelle, régulière et rythmée, et à la beauté qui découle de cette régularité et de ce calme, devenus visibles.
On trouve cette qualité dans tous les gestes de travail : faucher, semer, éplucher les légumes, écosser les petits poids, équeuter les haricots, couper du bois, balayer ; etc.… Quelque chose d’un « métronome intérieur », vous sentez ? vous connaissez cela.
Il y a beaucoup de chants qui l’expriment, qu’on appelle « chants de travail ».
- si vous avez des cassettes ou des cd de divers pays, écoutez les, venez avec.

Dans l’art du conte, il y a cela aussi. C’est un rythme qui aide le pas suivant, le geste suivant, le mot suivant, et évite qu’on « ronronne ». comme dans le fauchage, on fauche sans se fatiguer si on est dans ce bon rythme, bon geste.
Alors, quand on a ça comme fondement, on peut se permettre de « casser le rythme » par un contraste. En fait, on ne le « casse » pas du tout. La pulsation bien installée est toujours là, en dessous. Mais on joue, on s’amuse, en surface, comme le jazz man qui improvise sur son bon tempo.

- Regardez comment vous marchez en campagne. Si vous regardez vos pieds, ou si vous avez une vision plus large, une respiration plus ample, et vous vous sentez présent et ouvert à tout, sans fatigue.
- Cela vient en randonnées, après quelques jours. Rappelez vous cela, ou quelque chose d’équivalent.

Notre pulsation est naturelle, sous jacente à notre vie, à tous nos gestes. Elle coïncide au rythme de notre cœur, en simplifié. On est de « nature » lente ou rapide. On marche de manière lente ou rapide. On pense, on se décide, on agit, etc. tout cela a un rythme qui est le notre et nous est propre. Chacun est différent, en cela.
Quand on raconte, on a donc ce tempo naturel, qui est en dessous de nos peurs, de nos urgences d’en finir, de nos inquiétudes diverses, ou au contraire, de nos arrêts sur image, de nos descriptions interminables, etc.
J’ai remarqué pour ma part, que quand « je n’y suis pas » je fais trop long, je n’arrive pas à finir parce que je n’arrive pas à dire, en fait, et j’essaye sans cesse.
- Voyez comment vous, vous fonctionnez, dans vos conteries.

Une image :
C’est Pierre de Coubertin, un grand coureur à pieds, si je me souviens bien, qui a dit qu’il n’est pas nécessaire de gagner, mais que l’essentiel est de participer. Participer au rythme de la vie, en courant. Participer à la respiration du monde en installant sa trajectoire. Courir, sauter soudain, sans que le rythme en soit rompu. Courir sans se dépenser. Voilà qui serait « bien » conter. Ne pas s’affoler, respirer, et partir sur son rythme de fond, avec la joie de sauter un ruisseau, de voir un papillon, tout en poursuivant son propos. Ceci, cette gaieté, cette ouverture au monde, ne peut se faire si on est ailleurs que dans son propre rythme, de même qu’on ne peut courir au rythme du voisin.
Le conte est le paysage.

- 4. le rythme

Le conte a son rythme aussi, et pourrait on dire, sa musique. Il a son ascension et sa chute, ou bien sa vitesse de croisière tranquille ; ou bien il est un rapide qui déferle en torrent, ou bien il est une pluie douce et souveraine. De toutes façons, il a un rythme profond qui le fait débuter, se développer et tendre vers sa fin.
- Regardez déjà cela dans vos contes. Quand la montée de l’exposition du problème s’arrête, quand la « marche » débute vraiment, quand la résolution débute. (bien sûr, la résolution débute au premier mot du conte… bien sûr !). Mais des fois, on voit clairement, on sent « le début de la fin ».
C’est la structure et les détails qui donnent cela, mais c’est aussi une musique. On peut grommeler son histoire, sans mots. On fera l’exercice. pour voir la musique.
- Est ce une histoire rapide, lente ?
Par exemple, pour moi, un conte chinois va « plus vite » qu’un conte des mille et une nuits. Pas le même tempo, pas le même soleil, peut on dire. N’a pas poussé au même endroit. Pas la même manière de s’asseoir à une terrasse. On prend son temps, dans un conte d’orient. Le conte chinois est plus incisif. Voyez vous ?
- Regardez vos contes. Comparez celui d’une culture avec celui d’une autre. Sentez vous cela ? le pressentez vous ?
- Pour commencer à sentir cela : lire beaucoup de contes d’une seule culture à la fois. Alors vient un perception fine.

Pour préparer le travail du rythme :

- cherchez des moments de votre vie où vous avez senti ce dont je parle. Ça peut être en méditation, ou en marchant, tout aussi bien qu’en épluchant les légumes ou passant l’aspirateur. Faites en la liste, vous nous raconterez un ou deux, ça aidera à bien voir de quoi on parle.
- Faites un court récapitulatif des moments où vous avez senti cela pendant que vous contiez ; ça donne l’impression que « ça coule », vous savez, cette fameuse « magie » que tout le monde cherche. Souvenez vous d’un moment ; vous nous en parlerez.
- Voyez comment est votre rythme, quand vous marchez normalement. Vite ? Lent ? moyen ?
- Avez vous d’autres idées de moments où vous avez senti être dans un rythme simple, essentiel, qui a créé un état d’ouverture au monde, de présence ?

Si vous n’avez absolument aucune idée de ce dont je parle, c’est que je me suis mal exprimée. Malgré tout, faites cet exercice dans votre campagne :
- mettez le pouce sur votre pouls, comme chez le médecin, et marchez ainsi, 1 ou 2 mn, ensuite lâchez les mains, et continuez de marcher en lien à votre cœur ; on le fera ensemble, mais le trac jouant, c’est toujours bien d’essayer un peu seul, dans son coin. Si vous sentez quelque chose d’agréable, ça vous fera une référence.

Art populaire, poésies improvisées, joutes traditionnelles : la rime naît du rythme.

- Si vous avez l’occasion, le temps, renseignez vous sur les « joutes » de poètes, de conteurs traditionnels, sur les places des marchés. Si vous trouvez des articles, prenez les. Je n’ai pas de documentation la dessus. (Brésil, Madagascar, Laos, Ethiopie, etc.)

- 5. les contrastes

Sur ce tempo de base, sans mots, que j’appelle la pulsation, et qui fait poum , poum, poum, de manière régulière, il y a donc au dessus, comme des ornementations, des décorations : le sens, les mots, et enfin les contrastes ; l’histoire dans son récit, dans son anecdote.

Les contrastes viennent servir le récit. C’est le « métier ». C’est la manière de mettre en valeur, de « trancher », de « distancier » pour faire un effet ou un autre ; d’appeler un calme par une rapidité, d’appeler une future tristesse par un moment joyeux, un rire. C’est une habileté, et un service de l’équilibre d’une soirée.
mais elle doit naître de votre rythme ou du rythme profond du conte, sinon c’est raté, ça sent le « truc » préparé : le public a le sentiment immédiat de « cabotinage » ou manipulation. On verra ensemble ce qui « casse » la pulsation, interrompt le fil du récit, en fait, barre la rivière et on distinguera ces problèmes des contrastes, qui, eux servent au contraire l’harmonie et la vie du récit.

Pour préparer le travail sur les contrastes :

- prenez un de vos contes, un que vous pouvez un peu « triturer » sans qu’en pâtisse ni lui ni votre lien à ce conte. Un « vieil ami » par exemple.
- Demandez vous : quel contraste servirait le récit ? aiderait le récit ?
- Voyez si vous pouvez y détecter un contraste soit à faire soit déjà là. Sans plus. N’essayez pas, mais repérez les endroits favorables. C’est où ? Pourquoi, ici on peut et pas là ? Bien sûr si vous prenez l’histoire du chameau et de la souris, ça va être évident. Mais dans une histoire « normale », à quels contrastes fins peut-on penser ?

- 6. Conte en corps

Le bercement appartient à la comptine.
Il y a des ritournelles ; comment jouer « voix parlée, voix chantée » ?
Il y a les répétitions, comment les traiter sur le mode du rythme ? du contraste ? les sortir de ce fameux ennui qu’elles sont sensées produire ?
La marche et le conte. La démarche dans un conte. Le chemin du conte, du héros ;
La respiration est au service de la pulsation, du rythme profond. Elle est son outil, son expression.
- Demandez vous, observez sans rien changer : Comment respirez vous ? naturellement, quand vous contez, quand vous vous reposez ?
Les émotions et sentiments mettent des rythmes très différents dans les contes. On le verra ; les suivre, ou les laisser de côté ? lesquelles ? qu’en faire dans le récit ? pour le récit ?
- Sentir le rythme de la colère, de la sérénité, de la tendresse, de la passion, de la joie, etc.…

Sans aucun doute, j’oublie des choses, mais si cela vous inspire des directions, des réflexions, des questions, elles sont bienvenues.

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