C’était une femme très pauvre qui gagnait sa vie et celle de son fils unique en faisant des mouchoirs brodés. Elle aimait si fort son enfant qu’on aurait pu voir dans ses broderies les rêves qu’elle avait pour lui mais on ne les remarquait pas. On les trouvait tout simplement jolis.
Avec le temps ses yeux s’usèrent sur ce travail difficile et, le devinant, elle entreprit alors de broder un très grand mouchoir. Elle y broda avec amour le pays et la belle vie qu’elle voulait pour son enfant : une terre verdoyante, un rivière l’arrosant, une ferme, des bâtiments, une épouse joyeuse, des enfants et puis au loin des animaux dans les prés.
Elle y travailla si longtemps, que quand elle l’eut terminé, elle était devenue aveugle. Elle offrit sa broderie à son enfant qui maintenant était grand. Mais avant qu’il ait pu la saisir, elle la laissa s’envoler dans une bourrasque de vent. Il courut pour la rattraper, courut, courut pendant longtemps, deux ou trois années dans le vent. Et quand enfin le vent cessa, ce que le jeune homme trouva, ce ne fut pas la broderie ou plutôt c’était autre chose de bien plus grand. C’était la réalité de ce pays, de cette vie dont sa mère avait rêvé pour lui et qu’elle lui avait fait trouvé. C’était magique : elle y était avec lui, avec sa femme et ses enfants aussi.
Les contes que nous racontons sont comme cette broderie, ils nous montrent ce que nous cherchons.
Bruno de La Salle