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Edito

Storytelling et parole habitée

"L’artiste est une interface à l’écoute des mouvements du monde. Inscrit dans la société, il cherche l’équilibre entre ses désirs et centres intérêts, en d’autres termes, ce qui le meut de l’intérieur pour conter ceci plutôt que cela et ce qui est nécessaire, ici et maintenant, pour ses contemporains, dont il puisse être porteur.
Or « le monde » est parfois bruyant ! Le conteur doit trouver l’espace de sa parole, hors des leçons de morale, bons sentiments et thèmes journalistiques – quoi que de nos jours le fait de « raconter une histoire » saisit de plus en plus les journalistes et les politiques. Tout devient « histoire » : la mort des gens, la vie des autres, le malheur… C’est le storytelling. Les champs de paroles se chevauchent tellement - voire s’inversent – qu’il est devenu fréquent d’écouter sur les ondes des journalistes dire des récits, mythes ou épopées – tel que l’Odyssée en épisode durant tout cet été – et des conteurs conter des sujets appartenant anciennement au champ du journalisme.
Notre art fascine ? Pourquoi pas ? Il suffit d’écouter les cinéastes, peintres, écrivains et même les danseurs pour finalement entendre que leur intention profonde était de raconter une histoire. Cependant, dans tous ces engouements, le conteur a du mal à faire son trou. Les répertoires sont certes dits sur les ondes et c’est tant mieux, mais en réalité ils sont lus ; réécrits et lus.
Or la manière dont l’imaginaire de l’auditeur se met en route quand on raconte n’a rien à voir avec ce qui advient lors d’une lecture. L’art du conteur est ancien, quasi un art Premier ! Source d’inspiration, désir sans cesse renouvelé de récit et de sens, interrogation de l’univers, des étoiles et des hommes, cet art « simple » - le simple est tellement difficile ! – est à l’origine de bien des arts.
L’oralité, la présence du conteur porteur de son récit, met en œuvre une autre dynamique. Le vivant intervient fortement, avec ses dimensions de fluidité, imprévisibilité, adaptabilité, inspiration, trouvailles, renouvellements spontanés, qui sont mis en regard et au service des récits immémoriaux. C’est fort !
Cette parole vive, il faudrait savoir mieux en expliquer la puissance, la beauté, savoir la défendre, pour qu’on ne la confonde plus jamais avec un manque de travail et le coté péjoratif du mot « improvisation ».
La part changeante, mouvante, de notre art, c’est la parole habitée du conteur. Elle est aussi essentielle au monde que le feu, autour duquel elle est née. »

Catherine Zarcate