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Edito

L’expérience imaginaire

« Bien que dire ne soit pas vivre, le conteur doit être conscient de la puissance de certaines expériences vécues uniquement par l’esprit qui les imagine. C’est d’ailleurs un incroyable espace pour vivre en minuscule des expériences qu’on ne pourrait pas vivre « en vrai », soit parce que l’occasion ne s’en trouverait pas, soit parce que la vie ne nous donnerait pas, dans la réalité, une telle maitrise des données. Il est bien connu que la vie ne donne pas la fin de l’histoire !

Et pourtant, c’est quand même un sacré avantage, que de connaitre la fin de l’histoire ! On peut mettre en valeur la cohérence de l’aventure, le conte est rond, cohérent, complet. C’est au fond, une situation de laboratoire que la vie nous offre là. On le sait maintenant, la vie a le goût des fractales, où le grand et le petit sont semblables, à l’échelle près. Le conteur expérimente donc dans le petit vaste monde de ses contes, à sa mesure, un mode où la conscience englobe la totalité du réel.

Les contes y sont comme autant de labos où on apprend à vaincre d’énormes géants simplement en écrasant du fromage frais dans sa main, à discuter avec un serpent vindicatif, à chevaucher une autruche à travers le bush australien, suivi par un lapin dont on a su s’acquérir l’amitié. Bref toutes ces sortes de choses fort utiles dans la vraie vie.

Bien sûr, pendant qu’on s’amuse comme des gamins, la vie en profite pour nous faire expérimenter ce qu’elle veut vraiment nous apprendre, comme de rencontrer ses ombres, ne pas juger les forces les plus denses et terrifiantes, donner vie au pire salop ; et donc, en ricochet, tendre vers la justice, développer la compassion, comprendre la colère, expérimenter le pardon…

Fort heureusement, ce labo « marche » aussi pour le public, même si ce dernier n’écrase pas aussi régulièrement les formages frais... Une fois suffit, pour que l’image rentre dans la tête. La force d’évocation est telle !… On sait tous à quel point ces images sont plus fortes que la télé… C’est pourquoi le conteur doit se sentir responsable de ce qu’il envoie aux gens.

Si ces vécus sont plus légers que la réalité, ils permettent cependant de sentir, ressentir et comprendre tant de choses !... Peut-être est-ce grâce à cette fonction que l’humain peut comprendre son semblable sans pourtant avoir vécu ce qu’il a vécu ?

Les mots sont forts, quand la parole du conteur est habitée par cette conscience. »

Catherine Zarcate