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Edito

Entrer dans la finesse

« Si on m’avait dit, dans ma jeunesse, qu’un jour, je ferais de la résistance en transmettant l’amour du patrimoine oral de l’humanité, j’en serais restée baba ! Pourtant, c’est de plus en plus vrai. Cette matière est négligée, snobée, voire taboue… Trop subversive ?…

Moi, faire vibrer un récit du 12ème siècle en pleine parole contemporaine, ça m’allume ! C’est juste, c’est fort, c’est relié. Cela vient rétablir quelque chose, en lien avec le vrai. C’est un travail qui est fondé et non manipulable. C’est un tissage du Temps lui-même…

Des paroles sans appui, il y en a beaucoup… Je préconise donc aux conteurs d’entrer dans la finesse. C’est un moyen efficace de résister contre l’absurdité qui nait d’une humanité « hors sol », hors histoire, hors mémoire, hors sens, une humanité de plus en plus vouée aux « flux » et à un présent sans direction ni relief…

La finesse, en la matière, consiste à écouter intuitivement un vieux récit, le dépoussiérer - j’en ai déjà parlé ici - et sentir ce qu’il contient de précieux.

Par exemple, l’autre jour, en formation, on découvrait une version d’un conte dont les images étaient si vastes, si vertigineuses, on y sentait un tel souffle, un si grand air, un si grand vent, qu’il ne pouvait qu’émaner d’un peuple dont la réalité géographique était en cohérence. En quelques secondes de recherches sur internet, des photos de paysages sont venues confirmer l’intuition. La finesse a donc consisté à ne pas transposer ce récit dans un univers géographique trop retréci, où les images auraient perdu toute cohérence.

Car toutes les terres n’ont pas de si grands vents ni des hauteurs générant un imaginaire populaire empli d’immensité… Les contes sont de parfaits témoins géologiques ! Ceci confirme mon sentiment qu’il y a une géographie des imaginaires et qu’elle vient contredire la mondialisation qui voudrait uniformiser les histoires et les gens !

Un autre exemple, au plan des relations humaines : une jeune fille, dans tel conte tibétain, détient une liberté souveraine qu’on ne retrouve pas chez nous mais qui est commune là-bas, et ceci influence les relations avec son père et les dialogues… La finesse, en cet exemple, demande d’en prendre la mesure, pour conter juste ; mais aussi de faire vibrer les deux cultures : faire réfléchir ici, avec cette liberté qui n’appartient qu’à là-bas… Faire vivre au public ce qui nous bouleverse, quand on découvre ces différences…

A cultiver ce patrimoine, on gagne en précision, on développe une palette sensible étendue, un esprit critique et d’ouverture, et enfin, un trouve un recul qui nous garde d’être dupes des modes et/ou des ordres d’oublis qui inondent de manière subliminale l’ambiance générale. Tandis qu’à l’oublier on flotte sans appui, au risque d’être le jouet du culte commercial mondial, qui voudrait nous manipuler, nous abrutir et nous transformer en… « flux » !…

Je préfère cent fois être une grenouille ! »

Catherine Zarcate