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Edito septembre 2014

Au Risque de l’Oralité

« Pour que la matière orale des contes continue de faire partie de notre culture, le conteur doit effectuer un travail très fin et délicat pour dégager ses contes des poids déposés par les conteurs du passé. C’est la conscience de la responsabilité de ce qu’il transmet qui guide son travail.

Ces couches sont superficielles et correspondent aux modes d’une époque, à des façons de penser et croire qui n’ont plus cours. Elles n’appartiennent pas intrinsèquement au schéma directeur du conte. On peut donc les ôter pour redonner au conte sa limpidité initiale avant de le proposer à la réflexion et la rêverie du public actuel. Faute de quoi, on colporterait exactement ce pourquoi le monde d’aujourd’hui refuse la « tradition », c’est-à-dire exactement ces ostracismes inscrits et obscurément transmis. Alors que la tradition bien comprise consiste justement à laisser se modifier ce qui doit l’être pour qu’un récit demeure perpétuellement contemporain.

Or il est un véhicule majeur pour effectuer naturellement ce renouvellement, et c’est justement l’oralité elle-même. Par nature, elle possède la vitalité nécessaire à cette transformation. L’oralité sait perdre, ne pas figer ni fixer. Elle a la sagesse de l’eau. Telle la rivière, elle sait garder sa direction générale tout en contournant, érodant ou emportant les obstacles.

Durant des siècles le conte a habité l’oralité comme un poisson dans l’eau. Si le conteur actuel ose remettre sa parole au risque de cette oralité, il va bénéficier de sa puissance et recevoir en retour - en plus de l’actualisation - la rime, la scansion, le rythme naturel, l’élégance, l’ivresse… Ce risque d’une parole non fixée, il faut l’oser, le chérir, le défendre comme l’essence même de l’art du conteur et le reconnaître comme la condition même de l’inspiration artistique.

Or l’inspiration, toujours profondément inscrite dans l’ici et maintenant, transforme naturellement les vieilleries, renouvelle les formes, adapte les sens, éclaire la conscience, nourrit le récit d’une énergie vive et neuve qui touche le public en plein cœur.

Conter est un art risqué. Un art du dénuement. Sous sa simplicité apparente, se cache la noblesse d’un travail pointu et d’une plongée au cœur de l’humain. Il y a quelque chose d’éternel dans cette sobriété. »

Catherine Zarcate