Vous êtes ici : Catherine Zarcate, Conteuse > A LIRE
   

INTERVIEW DE CATHERINE ZARCATE PAR
"LE SOUFFLE DES MOTS"
Revue du CMLO, 27 août 2008

INTERVIEW DE CATHERINE ZARCATE PAR "LE SOUFFLE DES MOTS", REVUE DU LE CMLO, 27 AOUT 08

1/ Quelles sont les étapes de votre travail de conteuse qui vous paraissent les plus importantes ?

Tout commence par une disponibilité qui se renouvelle. Je repars le nez au vent ! C’est une écoute de ma vie. J’écoute ce que je cherche, ce qui me travaille, me fait vibrer, me bouleverse ou m’indigne, me concerne avec le plus d’actualité, bref, ma manière d’être dans le bruit du monde.

Puis je « tombe » sur le bon conte ! C’est le « feu de la rencontre » . Qu’il « entre comme dans du beurre » ou demande beaucoup de travail, si je me dis : « ah !!! le beau conte ! je veux le dire !!! », cela déclenche la décision.

Ensuite, c’est le « feu couvant », le temps du travail réel. Pendant des mois, je fais des « cercles concentriques » : en interne c’est un travail réceptif d’écoute et rêveries (symboles, structures, liens souterrains, questions sans réponses, etc.). Tout « flotte » : les images et symboles ont quitté leur ordre linéaire de succession. C’est « la dormance » (le mystère par lequel la graine posée en terre fleurit au printemps suivant !).
En externe, ce sont des flâneries/ rencontres/ lectures/ découvertes/ recherches/ trouvailles qui participent au travail d’imprégnation (langages spécifiques, mœurs et coutumes, musées, films, etc.). C’est un grand travail. On ne peut que l’évoquer ici. Mais pour moi, ce temps se passe entièrement dans le silence.

C’est là aussi que se place le travail d’intention : visiter les ombres éveillées par le conte, assumer et traverser mes émotions et décharges, - parfois jusqu’au rêve nocturne – puis retrouver la juste distance entre ma psyché et le récit, et chercher l’équilibre _ombre/lumière. Ce travail amène une réelle tranquillité. Je m’aide en puisant mes forces dans mon amour et mon respect des gens, des contes, de la tradition, le sens de la beauté, l’amour de mon art, l’amour de la vie, le sens du sacré.

Puis, seulement si besoin, vient le temps du « cobayage ». L’air de rien, j’évoque, à table, un bout du conte. Je mesure, teste, en simple évocation, sans développer ni me mettre dans le cadre ou l’énergie du contage. Juste un « à table » qui aide énormément. Je n’aime pas du tout conter exhaustivement à ce stade : ça viderait mon « feu couvant ».

Après cela, vient le temps de la précision : je pointe ce qui sera difficile à conter. Ça peut être des noms, des scénarios compliqués, des espaces à différencier, bref, tout ce qui pourrait être sujet à confusion pour le public. Cela n’apparait qu’une fois les autres travaux faits, quand on se dirige vers le moment de dire. C’est le moment où le récit se remet en ordre et où apparaissent les rythmes : ici vite, là développer, etc.

Un ou deux jours avant la création, de mémoire, j’écris le déroulé précis du récit sur une fiche, avec un ou deux mots clés par séquence. C’est l’aide mémoire. Je garde cette fiche quand le récit est très long, comme Antar.

Le soir de la création, le travail de loge est absolument fondateur… Puis, sur scène, je fais confiance à ma parole ; c’est une naissance. Je découvre « comment ça sort » en même temps que le public.

Après cette première soirée, je sais si je garderai le récit en répertoire ou non. Si je le garde, il y a tout le travail de mise en bouche qu’il faut bien entendu nommer. Si je ne le garde pas, il reste « dans les limbes » et continue de me travailler.

QUESTION 2 : Dans votre activité de formatrice, qu’essayez-vous surtout de transmettre ?

Je cherche à transmettre au futur conteur la profondeur de l’ancrage de sa parole. Un ancrage fondé sur son intimité ; dans l’être, au fond. C’est pour contacter cela que j’aime travailler en lien avec les éléments de la nature. Car moi, en tant que formatrice, je ne peux pas aller là, c’est trop intime. Mais la personne elle-même, dans le contact avec la nature, le peut. Elle peut trouver des intuitions, des pistes, des ouvertures importantes. Cela revient à faire un travail d’axe.

J’aime proposer le naturel, comme appui infaillible pour « l’adresse du conteur ». Mon fameux : « parle comme si nous étions à table ! ».

Et bien entendu, la puissance de l’intention… C’est presque « magique », combien la direction et la forme même, les mots d’un Spectacle, dépendent de l’intention, qui est l’axe de cristallisation d’une soirée. Elle organise tout. Ceci se fait « en loge ».

Je propose aussi de choisir la qualité de présence sans fausse assurance ni « trucs » ni faux sourires sociaux, etc. ; l’authenticité, le fait d’être relié profondément à sa parole. C’est plus dur, moins technique, mais en tant que chemin de vie, cela apporte plus. On sort du « bien faire pour faire plaisir » etc. De même je propose d’entrer en contact avec le plan symbolique qui sous-tend le conte plutôt que de développer l’imagerie des motifs à partir de l’imaginaire seul, l’imagination. Cela fait donc faire un travail de réceptivité, d’écoute, de silence…. J’aime bien ce « je ne sais pas ». il ouvre bien des portes !

Je préconise aussi la joie ! La joie de conter et la joie de beaucoup bosser en amont, dans le travail de recherche, de flâner, de chiner, etc.!... Structures et Cultures, et Symboles et Joie comme des fraternités bras dessus bras dessous ! Elargir les champs, les cercles de recherche... C’est un vrai plaisir, ça ! ça fait aller au musée, tout ça…

Je fais réfléchir aussi sur le choix de parler dans l’intention d’une lumière ou dans l’intention d’activer les peurs ou mettre en valeur seulement les zones d’ombre, de déséquilibres ou de chaos de notre monde ou nous-mêmes ; cette complicité là… (Je ressens le choix de la lumière comme une Résistance)… Cela ne veut pas dire de conter des choses à l’eau de rose, bien entendu. Je parle de notre intention, de ce qu’on veut, fondamentalement, pour l’autre, pour le public.

Enfin, au plan « technique » j’aime travailler sur le rythme. Le rythme interne de chacun tout autant que celui des contes. La pulsation est pour moi essentielle, au sens fort du terme. Je veux dire qu’elle appartient à notre essence et nous y ramène quand on se perd. C’est elle qui permet de « danser dans la justesse », cette fameuse « magie » des soirs réussis ! C’est gai de passer par là pour trouver la présence en scène… ça a cela de bien que toute démagogie apparait clairement comme une brisure de rythme !!!

Bon… je pourrais parler des heures, encore !!!

QUESTION 3 : Avec “le renouveau du conte”, conter est devenu un art. Quels héritages et quelles ruptures avec la tradition orale font d’après vous la spécificité du contage au XXI° ?

Je vais vous dire comment nait l’art, pour moi : un jour, j’ai vu une exposition. Le plasticien avait représenté une forêt d’arbres imaginaires avec toutes sortes de matériaux. C’était bien joli. Les enfants des écoles avaient ensuite participé et certains de leurs arbres étaient exposés dans le hall. Un de ces arbres avait des feuilles en forme de mains d’enfants. Vous savez, quand on met sa main sur une feuille de papier et qu’on découpe tout autour. C’était l’arbre le plus fort de l’exposition. L’artiste n’avait pas fait cela. Mais sans lui, cela n’aurait pas existé. Telle est la zone de rencontre où l’art advient.
Dans ma pratique, c’est le Spectacle, dans sa cristallisation unique d’un soir, qui peut ressembler le plus à cela. Mais le plus grand art est sans doute dans le film qui nait dans la tête de chaque spectateur. C’est pourquoi malgré la richesse des scènes de théâtre, je ne fais pas le choix d’utiliser les variations de lumières scéniques.
A bien y réfléchir, et avec cette définition de l’art, je me demande si les conteurs traditionnels ne se positionnaient pas exactement comme nous… Non ?

On ne conte plus dans les mêmes lieux. Et cela change bien des choses : avant, on ne regardait pas toujours le conteur et les mains de tous étaient occupées à un travail. Cela a des conséquences : lien au rythme interne naturel par le geste de travail répétitif ; absence de représentation du conteur, pas obligatoirement « regardé ». Accès au rêve facilité. Pourtant, on retrouve toutes ces valeurs, mais autrement. La conscience du rythme est là, l’oubli de soi vient aussi… Ce sont des valeurs profondes qui ont changé de forme mais ne peuvent pas mourir. C’est passionnant !

Aujourd’hui, on ne trouve pas, plus, nos contes dans les bouches des autres. Il n’y a plus de chaine orale. Ça s’entend, dans le conte. On y est « seul » : on n’a pas à nos côtés sur scène « la mère de la mère de X » qui conte avec nous… Cette solitude est bonne. Peut-être est-ce elle qui nous fait finalement aboutir à devenir un « art » ?
Les conteurs sont des savants, des lettrés, s’appuyant sur l’écrit, comme en Chine ancienne. Cela a ses avantages : on peut choisir ; et ses inconvénients : on manque d’ancrage. J’aime bien la responsabilité que cela donne : on ne peut plus décemment dire « je le dis comme je l’ai entendu » et transmettre une terrible fermeture ethnique, ou un racisme, bref, ce que j’appelle « le vieux monde ».
Le travail d’ancrage s’intériorise donc. On cherche nos fondements. C’est un travail merveilleux, pour un artiste, cela. On questionne la tradition, sa valeur, sa profondeur, son renouvellement. On ne peut pas la rejeter purement et simplement : on sortirait du genre !!! Ah ! Quelle posture difficile, qui nous oblige au juste milieu !... On doit prendre en charge ces questions, jusqu’à les vivre en soi comme un chamboulement qui nous fonde en tant qu’intermédiaire auprès des contes traditionnels : on a réfléchi, on vient vers eux par l’intérieur, on vient boire leur eau en ayant appris bien des choses sur les filtres…
Symboles fermés, symboles ouverts, tout cela est scruté, disséqué par des conteurs chargés d’une conscience nouvelle. Ce n’est certes pas pour rien qu’un tel mouvement a lieu dans le monde entier ! C’est un complet changement de plan. On a quitté la cohésion communautaire, le hochement de tête complice du public, la chanson partagée. Le conteur, dévoilant un être au monde vaste et sincère, amène sur scène l’humain aux prises avec les étoiles…

On parle à des gens qu’on ne connait pas. C’est la grande différence apparente. Mais au fond, n’ai-je pas « mon village », moi aussi ? je le sens, quand je vois les gens qui constituent le public d’un autre conteur : pas le même village, non….

pour réagir à cet article : info@catherine-zarcate.com