«Le monde des conteurs sait ce qu'il doit à Bruno de La Salle. Depuis une quarantaine d'années, cet explorateur infatigable de la littérature orale a conquis de nouvelles formes de narration et n'a cessé de les faire partager à tous les aventuriers qui se sont lancés comme lui dans l'épopée et le récit musical. Avec eux, il nous fait avancer dans la voie du conte comme l'art poétique de demain.
Lorsque Bruno de La Salle a commencé à raconter au (...)
« Le monde des conteurs sait ce qu’il doit à Bruno de La Salle.
Depuis une quarantaine d’années, cet explorateur infatigable de la littérature orale a conquis de nouvelles formes de narration et n’a cessé de les faire partager à tous les aventuriers qui se sont lancés comme lui dans l’épopée et le récit musical. Avec eux, il nous fait avancer dans la voie du conte comme l’art poétique de demain.
Lorsque Bruno de La Salle a commencé à raconter au théâtre de l’épée de bois et au Festival d’Avignon en 1969, les premiers spectateurs qui l’ont découvert pensait que, malgré sa jeunesse, c’était le dernier des conteurs. C’était au contraire le premier des nouveaux conteurs d’aujourd’hui. Il en fut de même, quant retournant au Festival officiel officiel d’Avignon et avec France Culture, au début des années 1980, il inventa les premières nuits de ce festival avec les épopées de l’Odyssée, du Récit de Shéhérazade et du Cycle du Roi Arthur. Il continua ses créations et narrations épiques dans d’autres lieux et d’autres festivals dont certains qu’il créa, entre autres, Les arts du récit à Montpellier en 1985, les Oralies de Haute Provence à Gréoux les bains, la Moisson des contes dans la Région Centre.
C’est au Conservatoire contemporain de Littérature orale de Vendôme qu’il créa la plupart de ses créations narratives et spectaculaires, qu’il organisa son festival Epos et qu’il installa un centre de formation et d’apprentissage qui vient de disparaitre avec le CLiO en 2017. Il y installa aussi en 1993 L’atelier de compagnonnage des conteurs Fahreinheit 451qui continuent leur activité dans l’Atelier de la parole à Paris.
Figure majeure du renouveau du conte en France.
S’inscrivant dans le courant du renouveau du conte, qu’il a initié en France dans les années 70, Bruno De La Salle s’illustre depuis plus de quarante ans dans un art de la parole unique, minutieux et inspiré. Il reconstruit épopées et chefs d’œuvre de l’Humanité pour les dire dans une langue respectant le rythme et la musique qui font partie intégrante de la littérature orale.
« L’Odyssée » est la première grande œuvre à laquelle il s’atèle. Invité par le festival d’Avignon pour une première lecture du texte en 1981, il donne à sa récitation sa forme ultime en 1991, qu’il est de nouveau convié à présenter en Avignon. Depuis, il ne cesse de psalmodier et chanter les vers d’Homère, laissant l’oeuvre faire son chemin en lui et l’enrichissant de son parcours.
D’autres grands textes suivent : le récit ancien du déluge, le cycle du Roi Arthur, les 1001 nuits, Gargantua… Ces récits seront au cœur de la centaine d’émissions radiophoniques qu’il anime pour France Culture de 1979 à 1998. Par ailleurs, Bruno de La Salle est auteur d’épopées modernes. « La Chanson des Pierres » et « Méga Nada » (présentée en 2009 au festival d’Avignon) sont ses dernières créations.
Afin d’ancrer la discipline du conte dans le champ artistique contemporain, il fonde en 1981 le CLiO, Conservatoire contemporain de Littérature Orale. Sa mission est de défendre les arts de la parole en soutenant des Artistes conteurs de qualité, en les aidant dans leur diffusion, en proposant festivals et interventions auprès de publics particuliers. En 1991,
Bruno de La Salle dote le CLiO d’un atelier professionnel de conteurs, Fahrenheit 451. Construit sur le modèle du compagnonnage, il devient au fil des ans une véritable école de conteurs.
15 Actualités publiées
Ce que disent les contes. - publié le 17 novembre 2016
Photo Jiang Zhi
J’ai eu le privilège inespéré dans la société d’aujourd’hui, avec quelques uns de ceux qui son devenus mes amis, d’avoir beaucoup lu, entendu, étudié, raconté des contes pendant de nombreuses années. Ce privilège m’a amené à des obligations dont je n’avais pas envisagé l’étendue. L’une d’entre elles, parmi bien d’autres, est celle de participer aux interrogations que nous posent la présence millénaire et la perpétuation des contes dans toutes les sociétés humaines. La première de ces questions : pourquoi ces contes sont-ils racontés, ou en d’autres termes et si tant est que ce n’est pas nous ou quelqu’un d’autre qui le leur faisons dire : Que nous disent les contes ?
Gratitude
Parler de que disent les contes est une occasion à ne pas manquer. Pourtant si les contes ne disent pas eux-mêmes ce qu’ils veulent dire, ou plutôt si je ne les entends pas, je ne suis pas certain que j’en dirai plus. Je ne suis pas certain non plus qu’en parlant des contes je n’irai pas à l’envers de ce qu’ils se proposent de me dire puisqu’ils me l’ont dit autrement. Enfin, après avoir considéré pendant longtemps leur langage comme une langue étrangère et avoir tenté de l’apprendre, ne devrai-je pas pour parler d’eux en me mettant à mon tour, à raconter des contes pour expliquer ce que disent les contes. Ce serait le mieux à faire mais je ne suis qu’un aspirant.
Pour commencer de finir sur ce sujet, si je n’ai pas confiance, respect et considération pour mes semblables disparus qui depuis des siècles se sont efforcés, à travers des situations souvent difficiles, de me transmettre un message qui leur semblait aussi important que leur vie ce n’est pas la peine de continuer.
Ce dont je peux témoigner d’abord, avant de continuer quand même, c’est de la gratitude que je ressens en pensant à tous ces ancêtres conteurs, raconteurs ou poètes, pour la plupart anonymes et humbles, et à leurs efforts dont je connais aujourd’hui la valeur et le prix, qui ont maintenu ce relais providentiel de pensées et d’échanges, jusqu’à nous.
Don
Je veux témoigner de l’enthousiasme qu’ils m’ont communiqué en me léguant ce moyen de pensée et d’investigation intrinsèquement interrogatif, qui est jeu, joie, compassion et surtout et par dessus tout qui est don. Je l’ai reçu, on me l’a prêté et je le donne. Je suis libre. Je ne suis libre que de donner à quelqu’un qui me donne son attention ou du moins « qui me la prête ». Il n’y a de joie que dans le don. Il n’y a d’aventure que dans la question.
En écoutant un conte, en le lisant, en le racontant c’et une évidence qui m’enflamme plutôt que me refroidir. C’est un combat permanent et viril que de choisir l’énigme plutôt que l’explication. C’est un pari fou et pourtant impossible à écarter que de croire qu’en se donnant mutuellement son attention et sa parole sans aucune prétention de valeur, sans aucun objectif de bénéfice, nous mettons en oeuvre un principe d’échange mille fois plus fructueux et universel que tous les commerces savants.
Emerveillement
Je veux témoigner de ce que l’on appelle l’émerveillement. Il y a dans le principe même de l’histoire partagée, une magie de l’apparition qui, si on veut bien l’admettre et la reconnaître, procède de ce que l’on appelle, dans un contexte religieux, le miracle. Les traces des questions que sont nos paroles et nos récits, les mille et une possibilités de les dire pour en ordonner honnêtement le sens font apparaître furtivement une évidence inaccessible à l’analyse, une percée dans la logique.
Il n’y avait rien et il y a maintenant quelque chose qui se voit et qui se perçoit substantiellement, qui se ressent et qui pourrait disparaître à tout instant comme s’éteint la flamme d’une bougie. Et il en est de même pour moi, dans ma fragilité et mon incertitude. Par le moyen d’un conte ou même d’un simple récit me parvient une confidence masquée, une proposition d’histoire qui me permet et nous permet, malgré nos subjectivités multiples, d’envisager nos réalités communes avec un récit soi-disant fictif. Raconter ou d’entendre une histoire, c’est une expérience, une tentative, on pourrait dire une prière à une demande d’éclaircissement.
L’autre moi
Ce que disent les contes, c’est d’abord : Racontez des contes ! Parce que raconter ne peut pas se faire tout seul. Pour raconter, qu’on le veuille ou non, il faut un interlocuteur. Il faut un autre, un inconnu, ne serait-ce que pour savoir si je ne suis pas un inconnu moi-même. Alors surgit la découverte, la reconnaissance que nous sommes deux inconnus, qui voyageons dans un pays inconnu, dans des circonstances toujours inconnues et qu’il est bon lorsque l’on est perdu et désemparé de découvrir que l’on est deux inconnus devant l’inconnu.
Raconter, se raconter, s’entendre est une nécessité pour faire le point. Et le premier de tous les points qui est à faire pour découvrir où l’on se trouve c’est de savoir où est l’autre pour imaginer un ensemble.
L’hypothèse de l’histoire
Pour dire ce que disent les contes, il faut dire comment ils le disent et ils le disent comme s’expriment des histoires. Il y a d’autres façons, sans doute, de dire ce qu’ils ont à dire par des analyses, des explications, mais les contes sont des histoires. Et une histoire, ce n’est pas n’importe quoi. Une histoire c’est une hypothèse, c’est un rêve, c’est une tentative de justification de sa propre existence à travers l’existence de quelqu’un ou de quelque chose d’autre. Si quelqu’un d’autre a une histoire, même si elle est imaginaire c’est que j’en ai peut-être une moi-même. Et si j’ai une histoire , à défaut de la connaître vraiment parce que beaucoup de choses m’en empêchent, je veux au moins savoir ce qu’elle est et dans quel sens elle va.
Le mouvement dans l’espace
Si j’ai une histoire c’est qu’elle a un sens parce que, dans un voyage – et une histoire est un voyage, un parcours, un mouvement, une marche – parce que dans un voyage, on va forcément d’un endroit à un autre, d’une situation désagréable à une situation meilleure, d’une défaite à une victoire, d’un esclavage à une libération, d’un moins à un plus, d’un mauvais à un bon, d’un tout petit à un plus grand et tout cela inversement aussi ; mais dans tous les cas, et même dans celui, comme c’est souvent le cas, où je pars d’un même endroit pour y revenir ; que j’ai seulement tourné en rond sans que rien n’est changé, ni en moi, ni dans la situation que je voulais quitter ; que je me retrouve, après ce voyage vers un quelque part, c’est un mouvement quand même, même si je n’ai pas bougé. L’histoire est la métaphore d’un mouvement, elle a un sens ( dans le sens de la représentation d’un mouvement).
Ce que me disent les contes, par leur forme narrative, c’est que ma vie pourrait peut-être avoir un sens et j’ai très envie de savoir lequel.
Le temps, l’usure et l’immortalité
Si le voyage de ma vie a un sens, c’est que ce déplacement s’exprime à travers un espace puisque je vais d’un endroit à un autre. Dois-je monter, descendre, marcher, voler, naviguer, m’enfoncer dans les entrailles de la terre pour aller vers une destination encore inconnue si tant est qu’il y en est une ? Si ce n’est pas moi qui bouge, c’est le paysage que je vois glisser devant une fenêtre dont je n’ai pas fermé les volets.
Si quelque chose peut m’empêcher de voir ce que je traverse ou ce qui me traverse, c’est l’idée bien prosaïque du temps. Et moins je sais où je me rends et plus le temps que j’imagine m’en empêche parce que si je ne sais pas où je vais , je ne sais pas non plus le temps que ça va me prendre.
Je sais, sans vraiment vouloir le reconnaître, que je n’ai pas beaucoup de temps, que je n’en ai jamais assez, que je ne peux pas le mesurer, excepté &vec un calendrier ou avec ma montre et un réveil pour peu que je veuille le savoir.
En fait, je n’ose pas le mesurer, ni lui, ni l’espace que j’ai à traverser, parce qu’il y a forcément en moi quelque part l’impression qui m’est insupportable de l’immensité et de l’éternité que pourrait m’avoir laissé, par exemple, la contemplation des étoiles. Ma vie et sa durée sont trop invraisemblablement courtes par rapport à la leur, mon espace si impossiblement mesurable au regard de celui qu’elles sont et qu’elles traversent dans leur danse que je ne peux, ni ne veut mesurer leur temps, ni leur espace avec le mien. La seule possibilité qui me reste c’est peut être le non sens souvent si proche du langage des contes. ,
Mais ce que je sais, à défaut de pouvoir concevoir et finalement mesurer l’immensité et plus encore l’éternité, c’est que tout mouvement, tout voyage a un début et une fin et que cette description est la description première d’une histoire. Un conte est une histoire d’espace et de temps. Il commence toujours par : Il était une fois. C’est pour cela que j’ai besoin des histoires. J’entends que le temps que j’ai se termine souvent par : ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants. J’aimerai savoir, en ce qui me concerne, avec qui ?
Le commencement d’une narration annoncée implique que cette histoire aura une issue même et surtout si on ne la connaît pas. Raconter ou entendre une histoire c’est dire ou s’entendre dire qu’il y a un chemin et que celui-ci a une fin mécaniquement inévitable.
Cet avertissement funèbre et finalement et tout en même temps joyeux est, dans le conte, une promesse de remède, d’évasion « miraculeuse » . Chacun peut en ressentir le bienfait en lisant, en racontant ou en écoutant une histoire. C’est la possibilité d’admettre qu’il y a un temps, très différent de celui que les horloges nous décrivent. Un temps si différent de celui que l’on croit appréhender, qu’on en dit souvent qu’on ne l’a pas vu passer.
Cette constatation accessible à tous nous amène à penser qu’il y aurait donc plusieurs temps. Le temps qu’on ne voit pas parce qu’il est intensément vécu et celui que l’on croit voir d’abord avec sa montre et parce qu’il est perceptible par l’ennui, l’usure, l’absence et l’angoisse qu’il procure. Je peux envisager que ma vie pourrait se passer dans un autre temps. Beaucoup de contes ou de légendes témoignent de ces différentes qualités de temps qui s’entrelacent. D’une certaine manière on pourrait dire, que les contes sont des sortes de télescopes mesurant l’espace-temps auxquels nos moyens ordinaires ne nous permettent pas d’accéder.
Si les contes parlent de l’espace traversé, du mouvement du voyage, du temps, c’est qu’ils nous proposent surtout, avec le moyen simple de la narration et du pas à pas, un langage analogique qui met en relation le petit avec l’immense, le connu avec l’inconnu, le début avec la fin.
Et c’est ce langage métaphorique, analogique, symbolique que je veux apprendre. Il me permet d’entendre et de considérer des propositions qui disent ce qu’aucun autre langage ne permet d’exprimer totalement et de façon vivante. C’est un langage accessible à tout être humain quelque soit sa condition et aussi ignorant qu’il soit et je crois que je fais partie de cette catégorie. C’est pour cela que j’aime ce que disent les contes.
L’histoire
L’histoire à partir de laquelle nous allons nous promener, est l’une des 26 versions en langue française recueillies et rassemblées dans le catalogue raisonné du conte populaire français établi et publié, morceaux par morceaux, à partir de 1966, par Paul Delarue et Marie Louise Tenèze. Les auteurs de cet ouvrage s’appuient sur un classement international des contes élaboré au début du XXème siècle par le finnois Antti Aarne puis complété par l’américain Stith Thompson. Il donne lieu à un catalogue de contes du monde entier de 2340 types eux mêmes rassemblés en genres. L’un de ces types est l’A.T 471, il fait partie du genre des contes merveilleux dans lequel se trouve répertorié le type A.T 471 avec le titre de référence suivant : The bridge to the Other World ou le Voyage dans l’autre monde. Il s’intitule lui-même Le sac d’argent.
Ce n’est pas la version-exemple choisie dans le catalogue français. Je l’ai lu, il y a longtemps- avant de découvrir les autres versions et il m’avait beaucoup frappé. C’est pour partager avec vous cette découverte comme j’en ai eu connaissance moi-même que je vous la fait entendre Cette version est plus simple, plus ramassée, plus synthétique, moins fantastique que la plupart des autres versions. Elle se trouve dans une anthologie de contes franco-allemand proposée dans les années 1970 par Marie Louise Tenèze et Georg Hüllen . Elle avait été recueillie par Achille Millien dans le Nivernais.
Dans ses versions soeurs, il est toujours question d’un voyage entrepris plus ou moins volontairement vers un monde inconnu par plusieurs candidats. Ils y sont toujours conviés ou contraints par un personnage étrange, étranger à leur monde et sans identité apparente, excepté qu’il dispose de beaucoup d’argent, de pouvoir et d’autorité incontestable bien qu’inexplicable. On découvrira plus tard qu’il est un messager, un ange, un roi, ou encore disent certaines versions, Dieu. Ses interlocuteurs, entreprennent ce voyage par nécessité matérielle après un contrat de travail ou encore désireux d’aider leur soeur marié à l’étrange personnage. En échange d’un salaire ou d’une réponse à un secret, ils doivent porter une lettre et éventuellement en rapporter une autre, emmener des moutons au-delà d’une rivière et s’enquérir de leur nourriture, et encore d’autre taches. Ils vont devoir traverser au moins une rivière, si ce n’est plusieurs, et découvrir des espaces où se conduisent des animaux ou des plantes de façon inexplicable. L’un d’entre eux, le dernier quand ils sont plusieurs, parviendra jusqu’au terme de cette obligation de voyage et souvent de discrétion. Il y trouvera un jardin avec un château plus ou moins explicitement merveilleux qui est nommé quelques fois, le paradis. Et soit à son retour, soit sur le lieu même, le héros apprendra le sens de ce qu’il a vu et vécu en entreprenant ce voyage même.
Ce conte répandu dans toute l‘Europe et en Afrique du Nord – nous fait savoir Marie Louise Tenèze- est connu chez nous sous une forme religieuse qui évoque le christianisme médiéval. Elle ajoute : qu’il doit cependant appartenir à une tradition bien plus ancienne, et on s’explique ainsi son succès chez des populations ayant une autre religion.
et constate : que sur les 26 versions françaises, soit les deux tiers, proviennent de Bretagne et que 7 autres proviennent de la Gascogne, du Bordetais aux Pyrénées.
Nous pouvons en déduire que dans ces régions qui ont conservé une langue et une culture spécifique, en particulier à travers leur langue, s’est transmis presque clandestinement , à travers leurs contes, un souvenir vivace de leurs croyances pré-chrétiennes. On ne peut s’empêcher, non plus de penser aux propositions de Vladimir Propp qui voyait dans les contes et devrait-on ajouter dans leur narration, la transposition de rites initiatiques d’origine chamanique.
L’initiation
C’est la raison qui m’a fait remarquer ce conte parmi tant d’autres. Il m’ouvrait une porte. Il est rare de trouver un conte dont la fonction initiatique est manifestement exposée dans le conte lui-même. La plupart du temps, le conte merveilleux s’en tient à son scénario, à ses figures, à ses motifs et nous laisse pantois et émerveillé sans que rien ne vienne nous aider à résoudre le rébus, l’énigme que constitue l’histoire que nous entendons.
Et justement, parmi toutes les fonctions possibles – linguistique, pédagogique, éducative, philosophique, scientifique, juridique etc… que l’on peut envisager pour l’ensemble des récits très variés qui arrivent à notre connaissance, l’initiation semble tenir un rôle premier dans cette polysémie d’enseignement.
Que peut nous dire d’abord un conte sinon une proposition de réponse à nos questions les plus essentielles ?
Et que, par ailleurs, l’acte d’initiation n’est-il pas, en définitive, à l’origine de toutes les autres fonctions ?
Il y a enfin, dans cette transmission orale et narrative, plutôt qu’une affirmation dogmatique et magistrale, une intention de partage vivant. C’est une invitation à l’étonnement, à l’interrogation, une invitation à apprendre ensemble à fréquenter l’inconnu, l’impossible, l’incroyable, l’inaccessible, le terrifiant et tout en même temps l’exaltant. Il y a, enfin, dans cet acte de conter et d’entendre, une initiation à la contemplation des mystères ou du merveilleux, qui ne peut exister sans égalité de considération mutuelle.
Et finalement, si j’ai choisi cette histoire pour essayer de comprendre ce que disent les contes, c’est que, peut-être, ce conte A.T 471 le voyage dans l’autre monde est avant tout, pour moi une initiation à la narration.
Le sac d’argent Collecte Millien-Delarue, Conte type AT 471, recueilli auprès de Marie Chollet Rencontre des peuples dans le conte(Editions multilingue allemand, français, anglais Aschendorff Münster par Marie Louise Tenèze et Georg Hüllen, 1961.
Un homme et une femme avaient trois petits garçons. Ils étaient bien pauvres et malheureux. La mère dit au plus âgé de ses enfants :
Va chercher ton pain, car ici nous mourrons de faim. L’aîné partit et rencontra sur sa route un home qui lui demanda :
Où vas-tu, mon petit garçon ?
Chercher mon pain.
Veux-tu porter une lettre au Père Eternel qui est dans le Paradis ? Je te donnerai un sac d’argent.
Je veux bien.
Voilà la lettre.
Et l’argent ?
Le voici.
Par où faut-il passer pour y aller ?
Suis ce chemin là.
Le garçon se remit en route, bien chargé de ce sac d’argent et de la lettre. Un peu plus loin, il arriva à une rivière. Comment passer ?
Bah !, se dit-il, je me débarrasserai de la lettre, il n’en saura rien.
Il jeta la lettre à la rivière, et revint chez les siens :
Maman, nous sommes riches, voilà un sac d’argent.
Qui te l’a donné ? interrogea sa mère.
Un homme que j’ai rencontré.
Mais il ne parla pas de la lettre.
Son frère cadet voulut aussi gagner sa vie. Il fit la même rencontre et agit tout comme son frère aîné. Sa mère fut encore plus surprise, mais lui non plus ne dit mot de la lettre.
Le jeune voulut partir à son tour.
Non, mon petit, dit la mère, ce serait offenser le Bon dieu.
Mais il insista tant qu’il partit. Lui aussi rencontra sur sa route l’homme qui avait une lettre à faire porter au Père éternel.
Voilà la lettre et le sac d’argent.
Mais le garçon répondit :
Vous me donnerez l’argent à mon retour.
Tu as raison mon enfant, tiens, monte par ce chemin, va devant toi.
Il partit et trouva, lui aussi, la rivière qui lui barrait la route.
Ah comment passer ? se demanda t’il.
Alors il se met à prier Dieu, et l’eau se partage en deux, il se fait une petite sente, et il passe.
Il marche et trouve une autre rivière, blanche comme du lait ; pris de peur il se remet à genoux, prie encore, il se forme à nouveau une petite sente, et il passe.
Il marche toujours droit devant lui, quand pour la troisième fois une rivière l’arrête, rouge comme du sang.
Cette fois-ci il a vraiment peur : qu’est-ce que cela peut vouloir dire ?
Et comment passer ?
Il s’agenouille à nouveau, prie le Bon dieu, et la petite sente se reforme encore.
Il passe, traverse trous, marnières, broussailles, montagnes et vallées, n’ayant tout juste que sa petite sente pour avancer.
Tout à coup il aperçoit deux flammes de feu qui s’entrebattent là, sur la sente même. Il se met à genoux et prie ; les flammes se séparent, le chemin est libre.
Puis il arrive au faîte d’une montagne de laquelle il voit un admirable jardin fleuri.
Il y entre, le traverse, et est frappé par deux roses, de chaque côté du chemin, bien plus belles que les autres. Il les cueille et en met une dans chaque poche.
Au bout du jardin, il ouvre une barrière qui semblait en or et se trouve près d’un château magnifique, si brillant qu’il en faisait mal aux yeux.
C’est bien quelque part par ici que doit être le Père Eternel, se dit-il ; et il cogne à la porte.
Qui est là ? demande une voix de l’intérieur.
Un petit garçon qui apporte une lettre au Père Eternel qui est dans le Paradis.
On ouvre la porte – et il reconnaît l’homme qui lui a donné la commission !
C’est donc vous le Père Eternel ?
Oui, et tu as fait beaucoup de chemin.
Oui, mon Dieu, je vous ai bien offensé.
Conte-moi ce que tu as vu.
Après vous avoir quitté, j’ai rencontré une rivière, j’étais bien embarrassé pour passer, je vous ai prié, ça m’a fait une sente et j’ai passé.
Bien, mon enfant. Sais-tu ce qu’était cette rivière ?
Non, mon Bon Dieu.
Eh bien, quand tu l’as eu passée, tu n’étais plus au monde. C’est la séparation du ciel d’avec la terre. Et après ?
Plus loin, j’ai trouvé une autre rivière, blanche comme du lait.
C’était le lait de la Sainte Vierge, dont elle nourrissait Notre Seigneur Jésus-Christ qui vous a sauvés.
Si j’l’avais su, j’en aurai bu un coup.
Et plus loin ?
J’ai trouvé une autre rivière, toute rouge comme du sang.
C’était le sang de Notre Seigneur Jésus Christ qui a été répandu sur la terre pour sauver tous ceux qui le servent.
Ah si j’avais su je me serais lavé dedans.
Et plus loin ?
Dans des trous, des marnières, des broussailles, je suivais ma petite sente.
Et plus loin ?
J’ai bien eu peur, deux flammes de feu s’entrebattaient. Je vous ai prié.
Sais-tu ce que c’était ?
Non
C’était tes deux frères qui s’entrebattaient, ils sont en enfer.
Ah que ça me fait de la peine !
Ne te désole pas. Je leur avais donné la lettre et un sac d’argent, ils ont pris le sac d’argent, mais ils ont jeté la lettre. Et ensuite ?
Je suis monté au fait d’une montagne. J’ai vu votre jardin, sans doute, bien fleuri.
Sais-tu ce que c’est ?
Non.
C’est le purgatoire.
Mais mon Dieu, là je vous ai offensé ;
Qu’as-tu donc fait ?
Il y avait deux roses qui me plaisaient plus que les autres, je les ai cueillies et mises dans mes poches.
Eh bien c’est ton père et ta mère qui sont dans le purgatoire. Tu les emportes avec toi. Entrez tous les trois dans le paradis.
Collecte Millien-Delarue, Conte type AT 471, recueilli auprès de Marie Chollet Rencontre des peuples dans le conte(Editions multilingue allemand, français, anglais Aschendorff Münster par Marie Louise Tenèze et Georg Hüllen, 1961.
A travers ce conte et ses autres versions comparées à d’autres récits provenant d’autres croyances dans le temps et dans l’espace, on peut mesurer, l’effort des conteurs européens pour adapter leur religion en quelque sorte, nouvelle à un récit plus ancien avec son langage symbolique et analogique passé.
Ainsi, un récit d’origine polythéiste va devoir s’adapter à une religion monothéiste. Un chaman, un griot, un aède va devoir devenir un conteur chrétien. Un auditeur vivant dans une civilisation pastorale ou de chasseurs pêcheurs, en devenant urbain et plongé dans notre monde d’aujourd’hui, va devoir se réapproprier des symboles qui étaient fondées sur des connaissances antiques qui lui sont étrangères.
Ce qui m’a d’abord frappé, je vous l’ai dit, c’est que pour la première fois dans un conte occidental et plus précisément nivernais, c’est à dire proche de chez moi, m’était proposé dans la narration même d’un conte, un sens possible à l’un des symboles que l’on rencontre fréquemment dans les contes merveilleux. D’autres suivraient.
La rivière est explicitement le passage dans un autre monde. C’est le passage de la vie à la mort. Mais il y avait encore d’autres rivières et, par conséquent d’autres mondes à traverser. Ainsi, m’était exposé une géographie de l’au-delà, un espace qui allait conduire mon imagination vers d’autres explorations.
Rétrospectivement, me reviennent en mémoire, les livres des morts tibétains ou égyptiens qui décrivent eux aussi les géographies propres à leurs croyances et les conseils de cheminement auxquels il faut alors se conformer.
Il en a été, sans doute ainsi, chez tous les peuples et d’abord chez les peuples de religion chamanique chez qui l’on trouve, là aussi, des descriptions d’espaces et de voyages que nous appelons imaginaires et des conseils incompréhensibles pour qui ces voyages ne nous sont pas familiers, et comment le seraient-ils ? En les consultant, eux et les grands poèmes épiques antiques, on ne peut s’empêcher de penser, comme Vladimir Propp le laisse penser, qu’un narrateur traditionnel perpétue, à travers la narration de certains contes, avec les dangers et les éblouissements qu’elles suscitent, les actes des chamans qui s’envolaient dans l’espace habités par les grandes forces qui gouvernent l’univers.
Ces rivières transversales et irréversibles, ces miettes de sens, étaient un fil, à partir duquel allait s’éclairer peut-être d’autres signes.
Les différents paysages décrits s’inscrivent dans une verticalité significative, les personnages montent ou descendent dans les éléments à traverser : l’eau, ses courants et ses tourbillons (qui apparaissent dans d’autres versions), les marécages, la pierre, la broussaille, la montagne, le feu, le jardin, le château. Ils avertissent le conteur et l’auditeur sur la nature des circonstances qu’il va être amené à découvrir et à affronter peut-être déjà dans sa propre vie. Comme si, celle-ci, sa propre vie, n’était pas déjà une aventure dont les étapes ressembleraient à celles qu’il va éventuellement connaître.
Parmi les signes qui se sont éclaircis pour moi, il en est un qui ne peut pas ne pas concerner un conteur. Comme un voyage, une histoire ne peut pas ne pas arriver à son terme, sinon ce n’est pas une histoire. Le voyage entier que les frères du héros n’avaient pas pu achever et que ce dernier mène à son terme est un voyage circulaire ou pluôt hélicoïdal. Il revient à son point de départ pour au moins l’un des protagonistes. Dans son mouvement spatial pré dessiné, il va leur assigner une place déterminée par leurs actions .
Il met en relation, le début et la fin. C’est à dire, au début, la pauvreté, la recherche d’argent, le travail payé en avance et le respect ou le non respect de la parole donné et, à la fin, l’accession à un paradis pour celui qui n’a pas voulu être payé ou pour les autres, l’argent et la violence. Le conte est comme une sorte de tourbillon qui va à la fois écarter ou aspirer en son sein les différents personnages de son histoire. Le conteur et l’auditeur, au cours de la narration, sont eux aussi analogiquement, comme ils le sont dans la vie, attrapés dans ce tourbillon. Le conteur avec ce que son regard embrasse de l’histoire est l’incarnation de ce tourbillon.
Il y a un autre symbole et qui n’est pas moins important pour un conteur. Les trois protagonistes sont chargés de porter une message. Ce n’est pas le cas de toutes les versions, dans beaucoup d’autres, ils sont seulement chargé d’un travail que les deux premiers ne vont pas réaliser par négligence, lâcheté ou paresse tout en prétendant l’avoir fait. Mais ce message dans le cas du conte que nous venons d’entendre est intéressant à plus d’un titre.
Est-il cacheté ? Le conte ne le dit pas. Il ne dit pas non plus ce qu’il contient, pas plus qu’il n’envisage que l’un des protagonistes aurait la curiosité d’en connaître le contenu. Pourtant il est adressé à un personnage vraiment très important. Il serait intéressant de connaître le contenu des messages envoyé par un général. Il ne dit pas non plus ce qui arrive au message à travers ses tribulations, ni même s’il y en avait un. Il ne le dit pas parce ce qu’il contient est sans importance dans cette histoire, ce qui compte c’est de le portage. Les messagers ne sont pas les destinataires. Le message que nous disent les contes avec cette idée de lettre à porter, et ce que dit ce conte dans ce cas-là – et il en est sans doute ainsi de tous les contes – que ce qui compte, que ce qui est important, que ce qui va compter, si on veut bien comprendre, pour un auditeur et plus encore pour un conteur, c’est que le seul message qui puisse traverser vivant une aventure aussi incertaine qu’une existence, c’est un secret non résolu. Il m’est arrivé bien tardivement, un jour en reracontant le conte rapidement, d’envisager que ce contenu de la lettre, la lettre elle-même ne sont, en réalité, pas destinés au Bon Dieu, mais plutôt à celui qui la porte. Ainsi pourrait-on ajouter à l’histoire, cet épisode final conclusif.
Dans ce que dit ce conte, paradoxalement, apparaît une invitation à la discrétion. Dans toutes les versions y compris celle-là, le héros se tait excepté pour prier. Il ne se dit rien en lui-même malgré l’étrangeté de ce qu’il découvre. Il ne demande pas d’explication lorsqu’il arrive devant le destinataire. C’est le destinataire qui la lui donne. C’est comme si le salaire du travail entrepris, de la garde de moutons dans certaines versions qui eux aussi doivent traverser une rivière ou de la lettre apportée dans celui ci, n’était que l’explication du voyage. C’est manifestement à nous, conteurs et auditeurs qu’elle est adressée. Ainsi, et encore une fois à l’aide d’une métaphore et si l’on veut bien admettre que raconter ou entendre un conte est un voyage, il n’y a qu’une chose à faire pendant celui-ci et ceci jusqu’au bout et sans discuter comme le fait notre héros, c’est porter la lettre ou le conte jusqu’à son destinataire sans que notre attention ne se détache, un seul instant, de ce but, c’est ce que nous disent les contes.
"Le Récit ancien du Déluge" - publié le 16 novembre 2016
Les épopées perpétuent à travers des mots, des images symboliques et des propositions narratives le fondement philosophique et spirituel de nos ancêtres. Dans cette quête des sources de notre histoire et de notre pensée, les textes mésopotamiens, récemment découverts, offrent évidemment les traces les plus anciennes d’un langage humain interprétable. Grâce aux travaux de Jean Bottéro et à son aide, Bruno de La Salle a élaboré cette relation légendaire et vénérable d’après trois textes principaux, tous trois célèbres : le poème d’Atra-Hasîs, l’Enûma Elis ou épopée de la création et l’épopée de Gilgamesh. L’aboutissement de ces recherches a donné naissance au « Récit ancien du Déluge », récit musical et chanté de bout en bout. Il raconte comment les dieux, pour se libérer des servitudes terrestres, ont inventé une nouvelle créature : l’homme. Et les hommes ont travaillé, sans relâche, à fertiliser la terre, à nourrir les dieux et à construire des temples pour les célébrer. Mais, au fil des ans, l’espèce s’est multipliée et la rumeur de sa besogne a grandi au point d’importuner les dieux très occupés de leur loisir. Quand le tapage des humains est devenu incompatible avec le repos des dieux, ceux-ci décident de se débarrasser de leurs créatures par différents fléaux dont le déluge est le plus funeste. Comme Prométhée plus tard, l’un d’entre eux, plus clément, prend cependant le parti de sauver un humain, Atra-Hasîs, afin qu’il reconstitue une humanité nouvelle.
Les Fonctions du conteur - publié le 13 novembre 2016
D’années en années, depuis que je raconte, je ne peux m’empêcher de penser que cette soudaine faveur que le monde affiche pour les contes ne peut être qu’éphémère. Le fait qu’une société telle que la nôtre puisse s’intéresser à nouveau à des objets aussi modestes que les contes procède pour moi d’un rêve impossible et qui pourtant se réalise.
Histoire : Mullah Nasr Eddin qui voulait ne pas être dérangé, avait vanté à ses voisins les merveilles d’une fête qui n’existait pas. Mais en les voyant s’y rendre de plus en plus nombreux, il se demanda si il n’y avait pas quelque chose de vrai dans son mensonge et il se précipita pour vérifier. C’est peut être mon cas.
Energie
L’anthropologue Marcel Jousse aborde son étude sur la parole : Le Style oral, par un préambule scientifique rappelant que tous les mouvements et manifestations des êtres vivants, sont le produit d’une énergie. Et que cette énergie est déclinée au cours d’une longue chaîne d’échanges allant de la lumière du soleil, en passant par les plantes et les animaux jusqu’à l’homme. Il en vient ensuite au fait que nos gestes physiques ou psychiques et, en particulier ceux qui produisent la parole, s’inscrivent eux aussi dans cette circulation d’énergie. On pourrait donc dire que la parole est elle-même un transport de cette énergie et que par cette fréquentation elle devient elle-même une énergie. Nous, conteurs, nous avons besoin de cette énergie pour nous et pour les autres. C’est à travers nos histoires que nous pouvons la partager.
Vibration
La parole est une onde qui se déplace dans l’air. Si notre atmosphère n’existait pas, nous ne pourrions pas nous parler. Nous sommes dépendants de l’air qui nous environne. Il nous traverse, nous nourrit et nourrit tout autour de nous. Mais nous, humains, il nous apporte autre chose encore, il nous relie. Sans lui nos paroles ne pourraient pas se transporter de nos bouches à nos oreilles. On ne peut pas parler dans le vide. Les paroles ont besoin d’atmosphère pour se déplacer et les conteurs en ont besoin aussi pour partager des histoires.
Dualité
Une parole ne peut pas exister non plus si celui qui parle ne s’adresse à personne ou s’il ne se trouve pas d’interlocuteur. Elle meurt. Pour que la parole existe il faut au moins être deux. En conséquence, qu’on le veuille ou non, une parole est une propriété collective d’au moins deux interlocuteurs, ni l’un ni l’autre ne peut la produire tout seul. Une histoire n’existe que quand on est plusieurs.
L’instant
Une histoire racontée n’existe donc qu’à la condition de ne pas être racontée dans le vide et de disposer d’un conteur qui veuille bien la raconter avec, au moins, un auditeur qui est disposé à l’entendre. La naissance d’une histoire ne va pas de soi. Elle naît dans des conditions difficiles. Si ces deux premières conditions son remplies, il en existe une troisième qui est encore bien périlleuse. Une histoire orale ne vit que dans l’instant pendant lequel elle est racontée. Dès qu’elle est racontée, elle a de grands risques d’être oubliée. Mais pourquoi le serait- elle si elle est intéressante ? A-t-elle été mal racontée ? C’est possible ! A-t-elle été mal écoutée ? C’est possible encore ! La raison principale de sa disparition, c’est qu’elle s’inscrit dans le temps et que tout ce qui s’inscrit dans le temps s’efface inexorablement.
L’oubli
Les mots ne peuvent sortir de la bouche d’un conteur que les uns après les autres, à la queue leu-leu. Ils entrent de la même façon dans l’oreille de celui qui les entend. Ils se succèdent. Aussitôt prononcée la parole de l’instant est effacée par celle qui lui succède qui, elle même, sera effacée à son tour par les paroles suivantes. Plus l’on s’éloigne du paysage que l’on quitte plus celui-ci se rapetisse jusqu’à disparaître à l’horizon. Il n’en reste que le souvenir et le souvenir est lui aussi menacé par le temps. Le principal ennemi de l’histoire, c’est le temps. L’histoire est, là encore, menacée de disparaître et, par conséquent, le conteur l’est aussi. Les voilà solidaires dans cette bataille.
Le son
La parole est un son, c’est une musique et comme la musique, elle s’envole. Maintenant c’est surtout le conteur qui est menacé de disparaître. Dès que l’histoire a quitté ses lèvres, elle le quitte lui aussi. N’importe qui peut lui prendre l’histoire qu’il vient de raconter et prétendre qu’elle est à lui. Elle l’est. Dès qu’une histoire est prononcée elle n’appartient plus à celui qui l’a racontée. Plus précisément elle est potentionellement la propriété de tout le monde. Histoire : Deux femmes prétendaient être la mère d’un même enfant, Salomon proposa de couper l’enfant en deux et d’en donner la moitié à chacune. L’une accepta le jugement, l’autre préféra y renoncer et laisser l’enfant à la première. Salomon découvrit ainsi qui était la mère véritable. Elle retrouva son enfant. Il en est de même du conteur, si il veut que l’histoire qu’il aime reste vivante, il lui faut admettre qu’elle peut être racontée par un autre.
La parole invisible
Marcel Jousse suggère que, dans la préhistoire, le langage gestuel a été abandonné au profit du langage sonore parce que celui-ci s’entendait la nuit. Nos ancêtres auraient donc inventé un langage sonore pour pouvoir communiquer dans l’obscurité. Il y a là une analogie instructive. Ces signes sonores, fugitifs et invisibles que sont les paroles et ces conteurs qui s’effacent pour nous les faire entendre pourraient donc nous rendre visibles des images que nous ne voyons même pas quelques fois le jour.
L’écologie de la parole
Notre atmosphère terrestre est respirée par nos corps. Nous l’inspirons et nous l’expirons. C’est notre première nourriture commune. C’est par ce moyen de respiration que nous produisons aussi nos paroles. Par ce fait, nous satisfaisons
au-delà de ce besoin vital d’alimention, un besoin d’appel, tout aussi vital. Nos paroles s’inscrivent alors dans notre atmosphère et produisent avec elle une nouvelle sorte d’oxygène. Sa qualité dépend de la qualité et de l’intensité de nos paroles. C’est une atmosphère dont nous sommes tout autant les responsables que les bénéficiaires.
C’est une écologie de la parole.
Les pouvoirs de la parole
Dans la variété de ses manifestations l’énergie de la parole est, et nous donne de grands pouvoirs. Elle nous donne le pouvoir d’appeler, de représenter, de nommer, de questionner, de compter, d’évaluer, de mesurer, d’assujettir, d’ordonner, de plaider, de remercier, de célébrer. Elle permet de s’inscrire dans le temps et peut- être de lui échapper. Elle permet de s’approcher du vrai, du juste, du beau, du vital. Elle permet de raconter.
Un pouvoir de mesurer
La parole fut ainsi que l’écriture qui lui succéda, et après le geste, un moyen de compter, de dénombrer, d’énumérer et par là de décrire une propriété, d’acquérir, de se souvenir. C’est un acte de propriété, un constat, un contrat, un inventaire, un commerce de mots qui a fait de la parole une valeur. Ne la dévaluons pas.
Un pouvoir de représenter l’invisible
Un autre de ses pouvoirs est celui de décrire l’invisible ou plus précisément le non-visible, ou bien encore le disparu, l’absent et ainsi de le faire redevenir présent. Pourquoi parler ou représenter quelque chose s’il est perceptible immédiatement et par tous. Il suffit de le montrer du doigt.
Un pouvoir de jouer
Si la parole est pouvoirs, elle est aussi jeu, jeu de pouvoirs et de forces d’abord. Mais les pouvoirs de la parole et les jeux qui en découlent ne s’exercent pas seulement dans le domaine de la force physique. Ils s’exercent aussi dans le domaine du questionnement et du sens. Comme un joueur d’échec, l’homme joue sa vie avec ses paroles et les paroles se jouent aussi de sa vie.
Un pouvoir de relier
La parole s’inscrit dans un échange d’énergie, elle est pouvoirs, elle est appel, elle est jeu. Elle est aussi un lien. Elle prend naissance entre deux interlocuteurs. Et de proche en proche, elle relie les uns aux autres, le dedans avec le dehors, le semblable avec le différent, le connu avec l’inconnu, le familier avec l’étranger, les générations entre elles, le mort avec le vivant , elle est le lien le plus nécessaire à l’existence d’une société, le lien le plus nécessaire à la compréhension de la réalité du monde dans lequel nous vivons.
Un outil
La parole est énergie, elle est pouvoirs, elle est jeu, elle est lien, elle est une valeur, elle est enfin, l’un des plus anciens outils de l’humanité, l’un des plus
simples, l’un des plus adapté à l’homme puisqu’il peut la contenir tout entier en lui-même sans autre outil que lui-même. Elle est un outil, mais elle est aussi pour l’homme un aliment puisqu’elle le constitue, le reconstitue, participe à son développement. Elle est encore un vêtement, une armure ou un charme.
Un art
Si nous acceptons tous ces attributs de la parole, il faut aussi accepter que, tous les usages que nous en faisons, aussi différents soient-ils, en arrivent quand ils sont amenés à leur perfection, à ce que l’on peut appeler un art. Et que parmi ces arts de la parole tels que l’éloquence, le théâtre, la poésie orale, la conversation , il en est un plus universel que les autres , par sa simplicité, sa permanence, son pouvoir de signification, par le fait qu’il est à la source de tous les autres comme c’est le cas chez les grands poètes de l’antiquité, c’est l’art du conte.
La parole et sa relation au temps
L’instant
Ce qui distingue une parole de tous les autres objets fabriqués par l’homme et en particulier l’écriture, c’est que la parole est un objet sonore, visible et fugitif. Ces qualités la distingue des autres productions humaines qui sont matérielles, visibles, stables et durables.
La parole est dans l’instant, elle y est simultanément produite et entendue. La fabrication d’un objet matériel éloigne son créateur de celui à qui il le destine.. Ce sont des avantages et des inconvénients dans les deux cas. L’un dispose d’un long temps de préparation mais il est seul et le restera. L’autre est dans l’instant, avec ceux à qui il s’adresse et qui l’écoutent. Ils sont ensemble dans un même instant et un même lieu, ils pensent, respirent ensemble.
Ne pas être dans l’instant, c’est être séparé de l’autre. C’est comme l’écrivain, par exemple, qui ne sait pas à qui il écrit et qui le lira. Dans tous les cas, il ne sera jamais dans l’instant pendant lequel ses lecteurs le liront. Et ses lecteurs ne partagerons jamais avec lui l’instant pendant lequel il leur écrit. Ils ne seront jamais ensemble.
La présence
Ce qui distingue celui qui parle de celui qui élabore son chef d’oeuvre à l’avance, c’est que le conteur est là, l’autre n’y est pas encore et n’y sera peut- être jamais. Il est difficile de se manifester sans être là. Il faut donc y être, c’est impératif. Tout autre élaboration préalable d’un objet, par exemple celle d’une sculpture, est marquée du sceau de l’absence soit du spectateur, soit de l’artiste. Ils ne participent pas au même événement. Celui qui parle ou qui raconte doit être là avec tout son corps et toute l’attention qu’il permet. La parole vivante a besoin de présence. La mémoire contre l’oubli
La mémorisation est l’unique moyen de se souvenir des choses importantes. Celui qui parle à quelqu’un qui est sans mémoire et sans attention va voir sa parole obligatoirement oubliée.
L’Oralité
Les civilisations sans écriture le savait bien. Aussi avaient-elles inventé une technique de formulation verbale mémorisable dans l’instant, une science de la communication verbale. C’est ce que les ethnologues appellent aujourd’hui L’Oralité. La répétition, la récapitulation, l’usage d’images frappantes, la versification et souvent la mise en musique, le respect de la causalité et de la chronologie étaient les principaux outils de cette science.
Pour le conteur et son auditeur, cet art de la mémoire est indispensable. Alors, rien n’est plus enthousiasmant, plus précieux que de posséder, de transporter en soi et pour les autres des paroles patrimoniales, c’est à dire précieuses à tous et accessibles à tous instants. C’est la raison pour laquelle Hamadou Ampateba, le grand sage africain disait que la mort d’un vieillard africain était comme une bibliothèque qui brûle. Mais il disait aussi que si tu entends une histoire, il te faut la raconter. Si tu ne la re racontes pas. Elle te puniras. Si tu la raconte mal elle te punira aussi. Si tu veux vivre longtemps apprends à bien raconter.
Le récit
Les arts de la parole sont parmi les formes les plus élaborées du langage. Ce sont des arts du son et du sens. C’est une littérature mais ils se manifestent au sein de L’Oralité. C’est une littérature orale. Cette littérature comprend de nombreuses formes : des œuvres poétiques, dramatiques ou rhétoriques, mais ce qu’elle propose surtout ce sont des œuvres narratives : des récits et des contes, eux aussi très variés.
Cette prééminence de la narration dans une littérature orale populaire s’explique d’abord par une constatation de bon sens. L’humain, quel que soit son âge, aime et a toujours aimé entendre des histoires. Il s’y reconnaît, y est reconnu et représenté par elles. C’est un moyen de se définir, de s’identifier. C’est l’expression du désir d’échapper au temps ou, au moins, de mesurer la réalité temporelle et qualitative de son existence.
Le fil de la parole
La performance mnémonique de la narration antique et de sa transmission dans les arts de la parole s’explique aussi par ce langage particulier dans lequel elle s’exprime. L’Oralité est linéaire. On ne peut pas tout dire et entendre en même temps, comme on peut, à contrario, de façon synoptique, contempler l’ensemble de l’image d’un tableau d’un seul coup. Dans la narration il y a un début, une fin, une cause, une conséquence, un nœud, un dénouement. C’est au cours d’un écoulement, d’une circulation de séquences de parole que s’élabore la signification d’un message narratif. C’est un voyage.
La narration est commandée par le temps ; d’abord par le temps qu’elle a pris pour venir jusque à nous, ensuite par sa propre durée, enfin par le temps de l’histoire qu’elle représente. C’est une architecture de temps.
L’interrogation
Ce fil, fait d’une longue chaîne de causes et de conséquences (ce que l’on appelle une randonnée le démontre) est une succession de questions et de réponses savamment distillées jusqu’à la résolution finale. Cette résolution ne prend son sens entier qu’à la dernière syllabe de la narration. Ce sens n’aura été exprimé et compris que quand tout aura été entendu. Ainsi pourrait-on dire que le début d’une histoire est une question, une devinette, et que la fin de cette histoire est la réponse- Que va devenir une petite fille insouciante qui va chez sa grand’mère ? Elle sera mangée par le loup !
Une histoire est un ensemble de devinettes, un ensemble de débuts et de fins, de questions et de réponses provisoires jusqu’à la résolution finale.
L’adaptation
Il est des situations de parole au cours desquelles le conteur doit faire preuve d’ajustement. Cette situation n’est pas forcément un handicap. L’acte de modifier la forme d’un récit n’est pas forcément un défaut. Ce peut être une nécessité. Elle n’est pas contradictoire avec une fidélité au récit qui a été transmis, elle répond aux circonstances de l’instant.
Cette qualité d’adaptation d’un message oral fait aussi que le conteur et son public vont produire différentes « versions » d’un même récit ; d’abord en eux- mêmes et, ensuite, selon l’époque, les circonstances et les lieux. Ainsi peut s’expliquer partiellement cette universalité et cette diversité des contes rencontrées dans les différents pays du monde entier.
La parole et sa relation au vrai
Si l’on veut bien admettre l‘éventualité des qualités et des pouvoirs de la parole que nous venons d’évoquer et admettre aussi que nous ne sommes pas les premiers à nous y intéresser – plutôt les derniers d’ailleurs- il nous faut admettre aussi que ces qualités, ces pouvoirs ont été cultivés par beaucoup d’autres avant nous.
Nous venons de voir que les histoires sont très fragiles à leur naissance, qu’elles ne doivent pas naître dans le vide, trouver un conteur accompagné d’un auditeur, ne pas être mal racontées, ne pas être oubliées, construites en fonction d’une mémorisation efficace mais voilà qu’elles ne doivent pas non plus prétendre à dire le vrai sinon on va les accuser de mentir.
Fiction et « mensonge »
Cette littérature narrative formulée dans l’oralité se situe ainsi délibérément et presque totalement dans ce qui est immatériel : l’imaginaire. C’est pourquoi le conteur traditionnel présente sa parole comme mensongère, fictive et ludique. En racontant, il s’avoue humblement incapable de dire le vrai.
En agissant ainsi il situe sa parole et celle de sa communauté dans l’ordre du jeu. Il la met à l’abri de toute exploitation et discours partisans, partiaux, apparemment objectifs ou exposant des faits soit-disant réels. Tout récit est
imaginaire puisqu’il n’est pas l’acte lui-même. La seule chose qui est vraie c’est l’instant pendant lequel un conte est dit et écouté.
La polysémie volontaire
La nécessité de rassembler le plus souvent possible toute la communauté est ressentie dans les sociétés traditionnelles comme primordiale. C’est pourquoi la parole qui est utilisée dans ces occasions doit être accessible à tous. C’est une parole volontairement polysémique, c’est à dire qui a plusieurs sens intentionnels. Un conte peut paraître mensonger ou fictif à certains et vrai pour d’autres, distrayant ou instructif. Tout dépend de la compréhension que l’on en a.
Chacun peut vérifier pour et par lui-même, au cours de sa vie, la polysémie d’un conte. Il découvrira peu à peu au cours de sa vie, d’autres aspects, d’autres images, d’autres sens qui lui avaient échappés. L’écoute, le regard changent au cours du temps. Comme un oignon le conte a plusieurs peaux.
Voilà ce qu’en disait Amadou hampaté Ba, célèbre sage africain en commençant son épopée Kaidara :
Conte conté, à raconter, seras-tu véridique ? Pour les bambins qui s’amusent au clair de lune, la nuit, mon conte est une histoire fantastique. Quand les nuits de la saison froide s’étirent et s’allongent, à l’heure tardive où les fileuses sont lasses, mon récit est un conte agréable à écouter. Pour les mentons-velus et les talons-rugueux, c’est une histoire véridique qui instruit. Ainsi suis-je futile, utile et instructif. Déroule-la qu’elle vienne…
La métaphore, l’analogie, le symbole, la fiction, miroirs du Merveilleux
Le psychanaliste Erich Fromm ajoute, à propos de l’importance de la fiction, du symbole et de l’analogie ces quelques mots : Le langage symbolique est un langage qui a une spécificité propre. En son essence, c’est la seule langue universelle que la race humaine ait jamais forgée, il s’agit pour nous de la comprendre plutôt que de l’interpréter (…) ; je crois qu’une telle compréhension est (…) importante pour quiconque désire se connaître soi-même, et non seulement pour le psychothérapeute dont la tâche est de soigner les troubles mentaux. (…) Le langage oublié. Erich Fromm.
La parole fictive est le moyen, on vient de le voir, de protéger une parole commune. La fiction, la métaphore, l’analogie et le symbole permettent de représenter des idées ou des vérités intransmissibles d’une autre manière. Ils sont aussi le moyen d’en transmettre et d’en protéger la connaissance sans l’interdire. Voilà le conteur informé des qualités de la parole. C’est un monde qui s’ouvre à lui, peut-être un labyrinthe, en tous cas une promesse de réussite s’il tient compte de ce qu’il découvre. Ce qui lui reste à faire c’est choisir ce qu’il veut dire.
Que va-t’il faire ?
Nous, conteurs, avons le désir de servir à quelque chose, à quelqu’un, mais à qui et qui voudra nous entendre ? Nous ne le savons pas encore. Nous avons le désir aussi de disposer d’une belle parole mais laquelle ? Pourquoi ? Et dans combien de temps en disposerons-nous ? Nous ne le savons pas encore mais ça va être certainement très long !
Alors à quoi ça sert de raconter des histoires ?
A plaire ? Oui ça peut servir à plaire, à flatter, souvent à tromper, à se tromper soi-même mais aussi à faire plaisir et à se faire plaisir, à être accepté. à transmettre Oui ça sert à transmettre, c’est à dire à porter et donner les histoires qui ont instruit tant d’être humains avant nous et que l’on a reçues à notre tour.
Histoire : Vous vous souvenez certainement de l’histoire de ce jeune homme qui cherche du travail et qui rencontre quelqu’un qui lui en propose. Il doit porter une lettre au Grand Inconnu. Il va avoir toute les peines du monde à le trouver. Et quand il va enfin le découvrir. Il s’aperçoit que le grand inconnu c’est justement celui qui lui a donné la lettre. Et au lieu de la prendre, le Grand inconnu la lui redonne et lui dit : Elle était pour toi.
Est-ce que ça sert à relier ?
Oui raconter sert à relier et ça ne fait que ça d’ailleurs. La parole n’existe que quand elle est partagée. C’est une invitation à être ensemble, à faire apparaître toutes les relations que les choses et les personnes ont les unes avec les autres à instruire ?
Oui, raconter ça sert à instruire énormément. Les africains pensaient qu’enseigner est une obligation pour tous les membres d’une société, que chaque instant et chaque événement de la vie quotidienne était une occasion d’initier par le moyen d’une histoire.
à témoigner ?
Oui, bien sûr, raconter c’est témoigner, qu’on le veuille ou non. C’est dire ce que l’on a vu, ce que l’on voit et que l’autre ne voit pas ou n’a pas voulu voir. Raconter c’est un témoignage vécu dans l’instant. C’est même une confidence que nous fait le conteur parce, comme le dit Flaubert : Il ne parle que de lui- même.
Est-ce que ça sert à représenter ?
Oui raconter, c’est représenter. C’est représenter le disparu, l’absent, l’oublié, le le méprisé, le méprisant. C’est successivement prendre leur place. C’est disparaître pour n’être plus que leur ambassadeur. C’est avoir un regard, un corps et une voix qui montrent ce qui n’était pas là auparavant.
à distraire ?
Oh oui raconter c’est certainement distraire et si raconter ne peut pas distraire c’est que ça n’est pas bien raconté. Mais c’est important de distraire. Ça efface les peurs, les angoisses. Ça emporte ailleurs, ça fait évader, ça guérit. Le mieux pour le conteur c’est de faire rire mais seulement de lui-même plutôt que des autres, ça ne fait de mal à personne et ça lui fait du bien à lui.
à endormir
Raconter ça aide aussi à endormir très très souvent, peut-être trop quelques fois. Le risque pour le conteur c’est surtout de ne pas s’endormir lui-même quand il veut endormir les autres.
Est-ce que ça sert à grandir ?
Oh oui raconter ça aide à grandir et si raconter n’aidait pas à grandir, autrement dit à agrandir son esprit, son cœur, son courage, sa ruse, sa détermination, à grandir tout court et à aider à grandir, il faudrait vite cesser de raconter. Raconter c’est le lait de la parole. C’est presque une évidence,/ / en tous cas pour les mamans qui nourrissent presque simultanément leurs nouveaux nés de lait et de paroles affectueuses dès leur naissance. Elles savent que le lait et la parole font grandir. Et qu’aider les autres à grandir nous aide à grandir aussi. Est-ce que raconter aide à raconter ?
Oh Oui raconter aide à raconter ! Si raconter n’aidait pas à raconter, si raconter ne donnait pas envie à d’autres de raconter cela signifierait que nous, conteurs, nous racontons très mal. Mais raconter a une fonction plus grande encore que celle d’aider à raconter, c’est celle d’aider à se taire, surtout quand on a fini de raconter. Mais c’est très court. Pour un conteur c’est particulièrement difficile de se taire longtemps. Pourtant se taire conduit à écouter et écouter est indispensable pour apprendre à raconter.
Voilà à quoi servent les histoires, elles nous aident et elles nous aident à aider.
Les rôles et fonctions des conteurs et conteuses
L’artiste de parole et plus particulièrement le conteur ou la conteuse ont une reponsabilité particulière, ils ont une place, un rôle différent de la maman, de l’instituteur, de l’animateur, du conteur amateur. Ils doivent répondre de compétences, de qualités morales et techniques, d’expériences pour faire comprendre que ce qu’ils font est important pour tout le monde.
Les conteurs et conteuses se servent de toutes les formes de paroles à la fois, celle du théâtre, celle de la musique et du chant, du poème, celles de l’éloquence et de la réthorique, celles aussi du geste. Homère en a été un merveilleux exemple. A son image, et toutes proportions gardées, ils agissent ou pourraient agir comme lui. Ils disposent de tous les outils et des compétences que proposent les paroles dans leur variété. Ils sont narrateurs avec plusieurs fonctions :
Ce sont des hommes ou des femmes de relation,
C’est évidemment le premier titre que porte les conteurs. Ils se relient à ceux à qui ils racontent, ils les relient entre eux, les relient aux histoires. Ils sont le catalyseur de la rencontre.
Ils sont hommes ou femmes de parole
au sens ou l’on dit d’un écrivain, d’une écrivaine qu’ils sont des gens de lettres, conteurs et conteuses sont des gens de paroles. Ils sont aussi de parole. Ils la donnent et ils la tiennent. Il sont narrateurs ou narratrices
évidemment puisque ce sont des conteurs. Ils ont cette qualité parce que le récit est l’une des paroles les plus performantes du langage. Les conteurs sont des poètes ou des poétesses. ou aspirent à le devenir. Sans même qu’ils se le soient formulé, ou qu’ils en aient reconnu encore la saveur, les conteurs entendent la musique de leur voix et de leur langue. Ils répondent aux règles de l’oralité, à celles du récit et de la littérature orale mais aussi à celles plus subtiles de la fiction, de l’analogie et du symbolisme. Peu à peu, ils deviennent forgerons de leur parole.
Ce sont des orateurs ou des oratrices.
Ce sont des avocats qui défendent une cause. En tout premier lieu, la leur, (et ce n’est pas quelque fois une mince affaire !). Ils défendent aussi à travers la leur la place de leur camarade tout autant que celle des communautés auxquelles ils s’adressent. Enfin, d’abord et surtout, ils défendent la cause de la parole.
Ce sont des hommes ou des femmes de théâtre
Ils sont en représentation et ils en dirigent la mise en scène. Ils jouent presque comme les comédiens ou comédiennes jouent. Mais ils jouent successivement tous les rôles de leurs histoires, mais aussi les bêtes, les objets, les lieux, les intempéries, les forêts et les fourmis…Ils sont en constante métamorphose. Mais ce qu’ils jouent d’abord c’est l’histoire.
Ce sont des historiens ou des historiennes,
Ils connaissent l’histoire de leur peuple, ils en connaissent les légendes, les mythes, les religions. Ils ont voyagé ou vécu ou rapportent les voyages ou les événements qu’on leur a décrits, les drames qui se sont passés et ils en témoignent avec leurs outils de fictions et de créations.
Ce sont aussi des linguistes
A leur manière, ils sont des gardiens, des témoins de la langue parlée, tant dans son actualité que dans son passé. Ce sont des activateurs de paroles, de langues et de pensées, ils participent à sa bonne circulation. Enfin, ce sont encore des chamanes
Comme nos lointains ancêtres qui voyageaient dans les espaces imaginaires et symboliques de l’univers pour aller plaider les causes des malades ou des malheureux, le conteur ou la conteuse peuvent se référer, toutes proportions gardées, aux actes des chamanes d’autrefois. Qu’ils le veuillent ou non, ils remplissent une fonction magique.
Les qualités des conteurs et conteuses
Eno Belinga, le grand ethno-musicologue camerounais nous décrit, trop brièvement ici, les qualités qu’il prête aux griots africains et qui, somme toute,
sont universellement désirables pour tout conteur d’aujourd’hui, voilà ce qu’il dit : (les griots) apparaissent comme des artisans de la parole…ils mettent continuellement en jeu des facultés de réadaptation, de recréation, voir de création (de la parole)…ils font montre de deux qualités primordiales : l’imagination et le cœur…
pour parvenir à l’expression, trois autres facultés leur sont nécessaires :
La première est l’esprit, sans cesse en éveil, qui s’applique à créer des liens. Ses effets sont le trait, le sens de la répartie, l’à-propos. Eno Belinga dit encore :
La seconde faculté est l’intelligence. Celle-ci perçoit les rapports élevés, profonds et étendus…Elle s’enracine dans un héritage millénaire.
La troisième, est la mémoire, conservatrice des connaissances acquises : thèmes épiques, chants et maniements de l’instrument d’accompagnement, enchaînements généalogiques etc… (…) pour passer à la réalisation…il leur faut encore faire appel à la volonté et à la conscience. La volonté brave les préjugés et met en œuvre les facultés de création. La conscience reste, pour eux, un critère de référence et de discernement. ( Eno Belinga. . Littératures et musiques populaires en Afrique noire. éd. Cujas)
Conclusion obligatoire
Depuis quelques décennies nous avons vu apparaître « un renouveau du conte » et nous y avons peut être participé sans nous rendre compte que nous participions à une aventure qui dépassait largement ce pourquoi nous nous y étions engagés.
Nous nous trouvons ainsi à défendre, pour la société entière, nous, amoureux de la parole et de la narration, une discipline qui, après avoir été abandonnée il y a longtemps, devient un art à réinventer. Cet effort nous est demandé à nous , qui pour la plupart, sommes ignorants des abîmes de la sémantique, de la linguistique, de la phonétique, de l’historique, de la grammaire, de l’étymologie, de la narratologie, de la musicologie, de la littérature comparée, de l’ethnologie, de la philosophie et de bien d’autres sciences encore… Les seules connaissances, les seules études dont nous pouvons nous prévaloir viennent de notre pratique de la narration, avec une seule certitude , c’est que c’est une chance.
Nous voyons bien combien elle nous est précieuse. Alors, sans discuter, il faut y retourner sans tarder.
Bruno de la salle
Copyright 2016
La Chanson des Pierres - publié le 12 novembre 2016
De siècles en siècles, les humains qui nous ont précédés nous ont légués des motifs d’histoire en apparence bien modestes et souvent si laconiques que nous n’en percevons plus la richesse. C’est que les conditions matérielles au cours desquelles ces histoires étaient échangées étaient souvent si difficiles qu’il fallait aller au plus vrai sans détour et sans fioritures et que ceux qui souffrent comprennent mieux et plus vite quand on leur parle de la souffrance des autres. Et que l’on se sentait le devoir de les prodiguer à tous, quelque ils soient, par le moyen le plus simple, le plus direct, le plus commun à tous, le plus démocratique qui est celui de l’oralité sensible, de la parole libre et vivante. Le partage d’un conte Quand on a eu la chance d’assister à une assemblée « traditionnelle » de conte, on ne peut être que frappé par la gravité tranquille et immédiate qui s’en dégage, que ce soit il y a quelques décennies en Bretagne par exemple ou ailleurs dans des pays qui en disposent encore. Ce n’est évidemment pas un spectacle. Le narrateur chargé de se remémorer le conte à haute voix est l’un des membres de la communauté et ce pourrait en être un autre. Et ce qu’il rapporte est dit avec humilité et avec aussi l’intimité de ses propres images, tandis que ceux qui l’écoutent, l’entendent avec la leur. Ce qui leur est commun au delà de toutes les subjectivités, c’est le schéma de l’histoire énumérée et surtout l’interrogation, la mise en cause de chacun que fait apparaître en eux cette narration. Devant les faits exposés, chacun s’interroge en son for intérieur sur ce qu’il entend et apprend, sur ce qu’il aurait fait ou a fait dans des conditions comparables et sur ce qui lui serait commun avec les membres de l’assemblée qui l’entoure. C’est comme une méditation collective et sacrée parce qu’elle est communautaire et qu’elle accorde à chacun sa place et sa liberté. La désobéissance obligatoire Cette liberté est intimement associée à la notion d’obéissance et évidemment de désobéissance s’il y a lieu. Il n’est pas difficile de trouver une histoire qui se rapporterait au thème de la désobéissance dans les contes merveilleux du monde entier, sans elle l’action tournerait souvent court. Comment le loup mangerait-il la grand’mère du Chaperon rouge si celle ci ne désobéissait pas à ses parents en discutant avec le loup ? Comment la mechante reine parviendrait elle à empoisonner Blanche neige si celle ci ne désobéissait pas aux nains ? Pourquoi Barbe bleue tuerait-il ses épouses si celles ci n’ouvraient pas la porte interdite ? Et combien d’autres arguments encore où la désobéissance est indispensable au déroulement du récit. Mais ce n’est pas de cette désobéissance là dont nous avons à parler. Celle qui nous intéresse est toute différente. Désobéir pour obéir à son besoin de liberté et d’intégrité est plus rare dans les contes. Ce thème se trouve justement exposé dans certaines versions de La Belle au bois dormant sur lesquelles j’ai très longtemps travaillé. Le thème de la liberté et de l’intégrité perdues ou oubliées font apparaître la nécessité de la désobéissance, de l’insoumission, de la désertion, de la rébellion et de la résistance pour les retrouver. J’ai, à partir de cette découverte, entrepris il y a quelques temps un récit personnel : La Chanson des pierres, en référence à l’Intifada mais aussi à mon enfance où il m’arriva souvent de me défendre en lançant des pierres et dans lequel se dessine cet effort d’indépendance. Le conte traditionnel de La Belle au bois dormant Le sujet du récit initial traditionnel de ce conte est celui d’une enfant douée par les fées à sa naissance de toutes les qualités souhaitables à une jeune princesse et tout en même temps maudite par l’une d’entre elles fâchée de n’avoir pas été invitée. Elle est condamnée par cette méchante fée à mourir à son adolescence en se piquant le doigt avec un fuseau. Sa condamnation est atténuée par le souhait de la toute dernière des marraines qui altère cette malédiction en y ajoutant qu’elle ne durera que cent ans et sera interrompue par un prince. Comme le conte l’a annoncé, la jeune fille devient la plus belle, la plus généreuse, la plus parfaite et finalement, on le verra par la suite, la plus courageuse du monde. Tout autour d’elle c’est le bonheur mais ceux qui l’aiment le savent précaire. Malgré toutes leurs précautions, la jeune fille trouvera un fuseau, oubliera l’avertissement, s’en servira, se piquera le doigt et s’endormira et avec elle tout les gens et les lieux qui l’entourent. Le château sera peu à peu emprisonné de broussailles infranchissables jusqu’au bout de cent années. Alors arrivera le héros salvateur qui franchira ces murailles végétales, la découvrira, la réveillera, l’aimera et la délivrera de son sommeil au prix d’épreuves insupportables. Tout en même temps, il réveillera avec elle le monde heureux et joyeux qui l’entourait au moment de son endormissement. Voilà le récit initial. Il a donné lieu à de nombreuses variantes et péripéties telle que celle que l’on connaît de Charles Perrault. Parmi ces variantes, il en est certaines qui mettent en scène non pas un prince mais un soldat, un homme ordinaire en quelque sorte, quelqu’un qui pourrait nous ressembler dans sa modestie et son bon sens pratique. J’ai vu là l’occasion d’aborder l’histoire dans des circonstances qui évoqueraient de plus près celles que nous connaissons aujourd’hui. Les contes transmis oralement depuis la nuit des temps et pour des personnes différentes ne doivent leur perpétuation extraordinaire que par le fait qu’ils nous disent des choses suffisamment importantes pour qu’à chaque génération se lève un nouveau conteur pour les transmettre et les adapter aux conditions de son actualité. Il nous parlera de vérités éternelles mais qui ne peuvent prendre vraiment corps que dans des représentations accessibles au monde au sein duquel il va devoir les exprimer. J’ai vu, dans ce conte, l’occasion de parler d’un héros, disons d’un personnage pivot, auquel chacun de nous pourrait s’identifier et se voir posées les questions qui le concerne dans le monde d’aujourd’hui. La violence du pouvoir Il y avait aussi dans ce conte une série d’épreuves auxquelles était soumis ce personnage qui ressemblaient fortement aux interrogatoires et aux tortures qui ont été et sont encore exercées contre des ennemis ou des résistants dans les guerres que l’on a vues et que l’on voit encore dénoncées aujourd’hui. Elles ressemblaient aussi aux tentations, aux propositions qui nous sont faites pour abandonner toute critique « et marcher dans les diverses combines de propagande et de publicité » qui s’étendent comme un océan dans le monde d’aujourd’hui. Ces tortures ne pouvaient être exercées que contre quelqu’un qui dérangeait l’ordre établi et être pratiquées par quelqu’un qui avait intérêt à ce que la princesse, que j’ai appelée dans mon histoire « Beauté du Monde », ne soit pas réveillée et donc pas délivrée par ce fameux héros anonyme que chacun de nous pourrait être et que je nommais Jean François Lediot Petit Jean, c’est à dire vous ou moi, comme cela doit être dans un conte populaire. Si l’on veut bien admettre que les contes ne parlent que de choses importantes, il faut alors les écouter comme telles, c’est à dire en parlant vrai et d’abord pour soi-même, en parlant de la réalité que nous vivons ou de celle que vivent ceux qui sont autour de nous. Les parler et les entendre comme si, tout à coup, apparaissait devant nous un évènement réel que nous n’avions pas remarqué et auquel pourtant il aurait été possible que nous y soyons mêlé ou que nous en ayons entendu parler. Et tandis que le conte nous le décrit à sa façon analogique. Il nous suggère ou nous rappelle qu’à partir de son audition nous en sommes devenus au minimum les témoins, sinon les acteurs. La malédiction du sommeil Il y avait enfin et surtout dans ce conte, le thème central qui ne peut pas ne pas nous concerner puisque nous en sommes éventuellement les victimes : La malédiction du sommeil ou en d’autres termes de la passivité. J’ai cru voir dans ce motif de l’endormissement de la princesse mais aussi du monde qui s’endort avec elle, la description de ce sommeil distillé aujourd’hui par la propagande ou la publicité politique ou commerciale et à laquelle chacun de nous est soumis lui aussi de façon permanente. Il me fallait pour la décrire un anti-héros, un « méchant », que le conte initial ne présentait pas. Les contes traditionnels exposent souvent des malédictions premières sans expliquer leur origine et c’est souvent à partir de ce silence que l’on peut relier le conte à notre propre histoire et envisager une sorte de malédiction qui nous concernerait, un handicap, un renoncement qui nous serait personnel que le sommeil contribuerait à nous faire oublier. Il me fallait un « méchant » qui allait mettre en œuvre ce sommeil, l’instrumentaliser pour parvenir à ses fins d’assujettissement. Il ne m’a pas été difficile de trouver de nombreux exemples concrets de ce genre de personnage. Je le nommai Garlannicor en référence à ma ville d’enfance où avaient régné de puissantes entreprises de forge et de métallurgie. Mais comment cette malédiction de sommeil qui s’exerçait sur ma princesse Beauté du monde allait-t-elle se trouver entre les mains de ce tyran et comment allait il pouvoir s’en servir pour endormir le monde entier comme nous en sommes menacés aujourd’hui ? Et pourquoi ce modeste Jean François Lediot Petit Jean allait–il être mêlé à cette histoire et pourquoi le serions nous nous-mêmes ? Et comment et pourquoi allait-il être concerné, engagé contre le pouvoir de ce sommeil pour éveiller et sauver Beauté du monde jusqu’à souffrir des tortures semblables à celles qui nous sont si souvent rappelées ? C’est à partir de ces questions que j’en suis venu à aborder et à évoquer la désobéissance obligatoire, l’insoumission, la désertion et puis enfin la résistance. La révolte ou la désobéissance Garlannicor convoite Beauté du monde pour utiliser sa beauté endormie comme une illusion médiatique qui le fera devenir maître du monde. Jean François Lediot Petit Jean est, de son côté, complètement amoureux d’elle et désireux de réparer son endormissement auquel il a participé dans son enfance de voyou et qu’il a continué d’accepter en se laissant engager dans les armées médiatiques, financières, administratives et militaires du tyran. Il s’est laissé engager, comme nous nous engageons nous-mêmes, obligés de gagner nos vies et croyant ne pas trop nous compromettre dans des activités plus ou moins reliées à des entreprises dont ne voulons pas connaître les fins. Amoureux de Beauté du monde, le héros va peu à peu découvrir la nature crapuleuse et criminelle du contrat qui lui assurait son bien être. Il va déserter et se retrouver proscrit, « sans papier, sans arme, sans carte de crédit, sans clé » . Il sera sauvé et averti par « L’éboueuse de la nuit, qui relève les âmes et efface l’ignominie ». Dans son errance il va se re souvenir de son amour, s’y réveiller et s’engager aux côtés de celle qu’il aime dans une résistance clandestine contre celui qui la lui a volée et la tient endormie et pétrifiée. Par son sacrifice, comme le conte traditionnel le propose, il va éveiller « Beauté du monde », lui redonner chair et lui-même retrouver la vie et son amour et aider le monde à se réveiller. Voilà ce qu’il est possible de raconter aujourd’hui pour peu que se rencontrent les quelques uns qui se font assez confiance pour l’entendre ensemble et s’interroger. Texte écrit vers les années 2010 pour la revue Le Sarcophage
La Chanson de l’homme qui n’avait pas de métier - publié le 9 novembre 2016
Vatchagan était fils de roi. Il s’était épris de la fille d’un tisserand, tisserande elle-même et il voulait l’épouser. Elle s’appelait Anaït. Vatchagan eut beaucoup de mal à convaincre ses parents. Il y parvint.Il en eut plus encore de difficultés à convaincre Anaït. Il n’y parvint pas. Elle ne voulait pas de lui. Ce n’était pas qu’elle fut insensible à sa beauté, à son courage, à son intelligence, à son titre mais le plus important manquait. Pour elle, le plus important c’était qu’il possédât un métier. Un métier qu’il pourrait exercer en toutes occasions pour demeurer libre. Et ce fils de roi ne savait rien d’un tel métier. Vatchagan était si amoureux d‘Anaït et avait une si grande confiance en elle qu’il se soumit à sa volonté. Il apprit le métier de tisserand.Et ce ne fut que lorsqu’il le possédât vraiment que la jeune femme accepta de devenir son épouse. A quelques temps de là, Vatchagan qui était devenu roi, voulut savoir ce qui se passait dans son royaume. Il voulait le savoir par lui-même. Il prévint sa femme de son intention et partit, déguisé en marchand, explorer son royaume. Il vit ce qu’il y avait à voir et que les rois habituellement ne voient pas. Il vit, en particulier, un matin, sur la place d’un marché, un vieil homme étrange que toute la population semblait craindre et respecter. Il fut intrigué, voulut en savoir plus sur ce personnage et s’arrangea pour parler avec lui. L’homme cherchait des artisans et payait bien. Vatchagan se proposa et fut engagé . Il se retrouva bientôt, sans avoir pu s’y opposer, tant il y avait été conduit habilement, emprisonné. Enfermé avec beaucoup d’autres malheureux comme lui, dans des cavernes cachées et fermées, réduit à travailler jour et nuit sous peine d’être tué. Il n’y avait aucun moyen d’échapper à la vigilance et à la cruauté des gardes qui les surveillaient. Il n’y avait d’issue que l’épuisement et la mort. C’est alors qu’il conçut son stratagème. Il proposa au vieil homme, qui ne rêvait qu’à s’enrichir, de réaliser un tissus tel qu’il lui rapporterait plus encore que tout ce qu’il avait gagné jusque là. Et il lui indiqua les rois et reines qui seraient disposés à l’acquérir et lui indiqua surtout la reine Anaït qui paierait plus encore que les autres.Le vieil homme accepta, fit apporter tout ce que demandait Vatchagan pour son ouvrage et attendit impatiemment que celui-ci fut terminée. Le roi artisan devenu esclave se mit alors à confectionner un tissage où parmi les fils d’or et d’argent était inscrit toute son histoire de misère. Il y écrivit les chaines et les fouets, la sueur, le froid, la fatigue, la mort, les chemins qui l’avaient mené jusque là. Il y mit tout le désespoir dans lequel il était tombé et tout ce qui devait permettre de l’en sortir. Il inscrivit tout cela dans son tissage mais sans qu’une autre qu’Anaït puisse l’interpréter. Et quand l’oeuvre fut achevée, il la montra à son bourreau qui s’en émerveilla et se hâta d’aller la proposer à Anaït. Il fut payé plus vite qu’il n’avait pensé mais d’une manière bien différente. Ainsi le roi Vachtagan fut libéré.
Le sac d’argent - publié le 7 novembre 2016
Un homme et une femme avaient trois petits garçons. Ils étaient bien pauvres et malheureux. La mère dit au plus âgé de ses enfants :
– Va chercher ton pain, car ici nous mourrons de faim.
L’aîné partit et rencontra sur sa route un home qui lui demanda :
– Où vas-tu, mon petit garçon ?
– Chercher mon pain.
– Veux-tu porter une lettre au Père Eternel qui est dans le Paradis ? Je te donnerai un sac d’argent.
– Je veux bien.
– Voilà la lettre.
– Et l’argent ?
– Le voici.
– Par où faut-il passer pour y aller ?
– Suis ce chemin là.
Le garçon se remit en route, bien chargé de ce sac d’argent et de la lettre. Un peu plus loin, il arriva à une rivière. Comment passer ?
– Bah !, se dit-il, je me débarrasserai de la lettre, il n’en saura rien.
Il jeta la lettre à la rivière, et revint chez les siens :
– Maman, nous sommes riches, voilà un sac d’argent.
– Qui te l’a donné ? interrogea sa mère.
– Un homme que j’ai rencontré.
Mais il ne parla pas de la lettre.
Son frère cadet voulut aussi gagner sa vie. Il fit la même rencontre et agit tout comme son frère aîné. Sa mère fut encore plus surprise, mais lui non plus ne dit mot de la lettre.
Le jeune voulut partir à son tour.
– Non, mon petit, dit la mère, ce serait offenser le Bon dieu.
Mais il insista tant qu’il partit. Lui aussi rencontra sur sa route l’homme qui avait une lettre à faire porter au Père éternel.
– Voilà la lettre et le sac d’argent.
Mais le garçon répondit :
– Vous me donnerez l’argent à mon retour.
– Tu as raison mon enfant, tiens, monte par ce chemin, va devant toi.
Il partit et trouva, lui aussi, la rivière qui lui barrait la route.
– Ah comment passer ? se demanda t’il.
Alors il se met à prier Dieu, et l’eau se partage en deux, il se fait une petite sente, et il passe.
Il marche et trouve une autre rivière, blanche comme du lait ; pris de peur il se remet à genoux, prie encore, il se forme à nouveau une petite sente, et il passe.
Il marche toujours droit devant lui, quand pour la troisième fois une rivière l’arrête, rouge comme du sang.
Cette fois-ci il a vraiment peur : qu’est-ce que cela peut vouloir dire ?
Et comment passer ?
Il s’agenouille à nouveau, prie le Bon dieu, et la petite sente se reforme encore.
Il passe, traverse trous, marnières, broussailles, montagnes et vallées, n’ayant tout juste que sa petite sente pour avancer.
Tout à coup il aperçoit deux flammes de feu qui s’entrebattent là, sur la sente même. Il se met à genoux et prie ; les flammes se séparent, le chemin est libre.
Puis il arrive au faîte d’une montagne de laquelle il voit un admirable jardin fleuri.
Il y entre, le traverse, et est frappé par deux roses, de chaque côté du chemin, bien plus belles que les autres. Il les cueille et en met une dans chaque poche.
Au bout du jardin, il ouvre une barrière qui semblait en or et se trouve près d’un château magnifique, si brillant qu’il en faisait mal aux yeux.
– C’est bien quelque part par ici que doit être le Père Eternel, se dit-il ; et il cogne à la porte.
– Qui est là ? demande une voix de l’intérieur.
– Un petit garçon qui apporte une lettre au Père Eternel qui est dans le Paradis.
On ouvre la porte – et il reconnaît l’homme qui lui a donné la commission !
– C’est donc vous le Père Eternel ?
– Oui, et tu as fait beaucoup de chemin.
– Oui, mon Dieu, je vous ai bien offensé.
– Conte-moi ce que tu as vu.
– Après vous avoir quitté, j’ai rencontré une rivière, j’étais bien embarrassé pour passer, je vous ai prié, ça m’a fait une sente et j’ai passé.
– Bien, mon enfant. Sais-tu ce qu’était cette rivière ?
– Non, mon Bon Dieu.
– Eh bien, quand tu l’as eu passée, tu n’étais plus au monde. C’est la séparation du ciel d’avec la terre. Et après ?
– Plus loin, j’ai trouvé une autre rivière, blanche comme du lait.
– C’était le lait de la Sainte Vierge, dont elle nourrissait Notre Seigneur Jésus-Christ qui vous a sauvés.
– Si j’l’avais su, j’en aurai bu un coup.
– Et plus loin ?
– J’ai trouvé une autre rivière, toute rouge comme du sang.
– C’était le sang de Notre Seigneur Jésus Christ qui a été répandu sur la terre pour sauver tous ceux qui le servent.
– Ah si j’avais su je me serais lavé dedans.
Et plus loin ?
– Dans des trous, des marnières, des broussailles, je suivais ma petite sente.
– Et plus loin ?
– J’ai bien eu peur, deux flammes de feu s’entrebattaient. Je vous ai prié.
– Sais-tu ce que c’était ?
– Non
– C’était tes deux frères qui s’entrebattaient, ils sont en enfer.
– Ah que ça me fait de la peine !
– Ne te désole pas. Je leur avais donné la lettre et un sac d’argent, ils ont pris le sac d’argent, mais ils ont jeté la lettre. Et ensuite ?
– Je suis monté au fait d’une montagne. J’ai vu votre jardin, sans doute, bien fleuri.
– Sais-tu ce que c’est ?
– Non.
– C’est le purgatoire.
– Mais mon Dieu, là je vous ai offensé ;
– Qu’as-tu donc fait ?
– Il y avait deux roses qui me plaisaient plus que les autres, je les ai cueillies et mises dans mes poches.
– Eh bien c’est ton père et ta mère qui sont dans le purgatoire. Tu les emportes avec toi. Entrez tous les trois dans le paradis.
Collecte Millien-Delarue, Conte type AT 471, recueilli auprès de Marie Chollet Rencontre des peuples dans le conte(Editions multilingue allemand, français, anglais Aschendorff Münster par Marie Louise Tenèze et Georg Hüllen, 1961.
Hommage à Marie-Louise Tenèze - publié le 4 novembre 2016
C’est avec une grande tristesse que j’apprends la disparition de Marie Louise Tenèze le 12 octobre 2016.
A la suite de Paul Delarue, elle a rédigé et conduit, pendant plus de quarante ans, la publication des cinq volumes du Catalogue raisonné du conte populaire français et bien d’autres ouvrages sur le conte et le conteur traditionnels. C’est largement grâce à ses travaux que le conte populaire s’est renouvelé dans notre pays et dans les pays francophones. Tous les conteurs et amateurs de conte, dont je suis, lui doivent énormément. Sans elle nous n’en serions pas où nous sommes. Je devine, aujourd’hui qu’elle n’est plus là, combien je lui dois cette fidélité aimante et émerveillée mais aussi attentive des contes qui m’habite encore aujourd’hui.
Je l’ai rencontré en 1968 au Musée des arts et traditions populaires où elle dirigeait le département de littérature orale. J’avais besoin alors de m’informer sur ce qu’étaient les contes et les conteurs populaires et elle m’avait accueillit avec une générosité et une patience exceptionnelles.
Elle m’avait offert un peu plus tard, un livre franco-allemand qu’elle avait codirigé et au sein duquel elle avait choisi un conte recueilli par Achille Millien dans le Nivernais qui m’avait particulièrement intéressé. Ce conte, que je lui dois, m’a accompagné tout au long de ma vie. Au fur et à mesure que je le raconte, comme il en est de tous les contes que l’on revisite, je le vois m’éclairer sur mon existence. Et je n’en ai que plus de gratitude pour celle qui me l’a donné à connaître.
J’ai été invité par Henri Touati et par Les Arts du récit en Isère qu’il dirigeait, à participer à Grenoble le 24 et 25 mai 2010 à un colloque sur le thème « Ce que nous disent les contes » C’est à cette occasion que j’ai raconté ce que ce conte m’a apporté. C’est en hommage à Marie-Louise Tenèze que je vous le confie.
Plaidoyer pour les Arts de la parole - publié le 1er novembre 2016
Raconter des histoires a toujours été, à travers les âges, à la fois chose sérieuse et frivole divertissement. D’un bout de l’année à l’autre, des histoires sont ainsi conçues, couchées par écrit, dévorées, oubliées. Que deviennent-elles ? Il en survit à peine quelques-unes, et ce sont elles qui, pareilles à des semences emportées par le vent, s’envolent à travers les générations, propageant de nouvelles histoires et dispensant à de nombreux peuples la nourriture spirituelle. (…) Leur faculté germinative est éternellement vivace, attendant seulement un contact pour s’éveiller. Et ainsi, bien que de temps en temps certaines variétés puissent donner l’impression d’être éteintes, elles réapparaissent un jour, faisant sortir à nouveau, aussi frais et verts qu’auparavant, leurs bourgeons caractéristiques. Heinrich Zimmer. Le roi et le cadavre. Ed. Fayard.
En 1985, sur la demande de Jean Gattegno, alors directeur du Livre au Ministère de la Culture, le Centre de Littérature Orale réalisait une étude et une enquête sur l’état du conte à cette époque : Jeux et enjeux de l’oralité contemporaine. En 1991 eut lieu, au Musée des Arts et Traditions Populaires, sous la responsabilité de Geneviève Calame-Griaule, un important colloque de chercheurs et de conteurs sur le même sujet : Le Renouveau du Conte. Les actes de ce colloque furent publiés ultérieurement par les éditions du CNRS. En avril 2000, Henri Touati, directeur des Arts du Récit en Isère, sur la demande de la Direction du Théâtre du Ministère de la Culture, entreprit à son tour un travail comparable : L’Art du Récit en France.
C’est dans la continuité de ces travaux et dans un souci de concertation et de complément à la réflexion collective que nous proposons ce plaidoyer. Nous espérons qu’il sera utile à ceux qui sont déjà engagés dans cette aventure tout autant qu’à ceux qui nous y rejoignent.
Le renouveau Ainsi, après une longue période de sommeil les pratiques artistiques de la parole si universellement pratiquées en tous temps et en tous lieux retrouvent aujourd’hui un espace d’expression. Ce renouveau se manifeste en particulier à travers l’usage de la narration et du conte oral qui se développent de manière nouvelle en France et, avec plus ou moins de retard, dans le monde entier. Cette ré-appropriation d’une parole artistique accessible à tous participe à la vitalité, à la transmission, et à l’enrichissement de la langue et à celui de l’imaginaire qu’elle transporte. Elle est l’outil de notre liberté d’expression, de notre dignité, de notre distinction. Une discipline artistique en gestation Cette résurgence, largement spontanée, prend des formes multiples et foisonnantes. Elle est pratiquée par des individus venant de tous horizons, avec des techniques, des répertoires et des genres très variés, dans des situations et des lieux eux aussi très divers . Cette multiplicité d’actions témoigne de besoins importants non satisfaits tout autant pour ceux qui les entreprennent que pour les publics auxquels ils sont destinés. C’est un mouvement largement artistique et presque spontané qui apparaît aujourd’hui. Et bien qu’il se revendique souvent de l’héritage du passé, il s’agit, à l’évidence, d’un nouvel art de la parole qui se reformule et qui demeure encore largement en gestation. L’ impact et le développement de cette pratique d’une ampleur inattendue rendent plus que jamais nécessaire une réflexion sur leurs causes et les devenirs possibles de l’oralité artistique. Cet inventaire raisonné, ce constat, les espoirs qu’ils laissent entrevoir plaident pour une reconnaissance et une considération qui semblaient manquer jusqu’à aujourd’hui. I -Les Arts de la parole En pays dogon « L’Homme a donc reçu la parole comme une inspiration subite, mais il lui a fallu ensuite un long apprentissage pour la développer et l’amener à sa perfection… Cet apprentissage symbolise à la fois celui de l’enfant dans la société, et celui des premiers hommes qui ont perfectionné au long des siècles le langage et les techniques. » Geneviève Calame-Griaule. Ethnologie et langage, éd. Gallimard Le Grand Parler Chacun d’entre nous ressent le besoin de disposer pour lui-même ou dans ses relations avec les autres d’une parole précise, convaincante, belle, vraie ; le besoin de répondre à une inspiration par une expression qui en témoigne justement. Ce besoin réel est particulièrement manifeste dans les moments importants de notre vie. Nous trouvons aussi une réponse à ce besoin dans une parole qui représente pour nous un trésor patrimonial, ou bien encore qui est le fait d’une excellence de manière et aussi bien souvent encore quand elle s’inscrit dans une approche du sacré. C’est alors que nous mesurons la différence qui existe entre le langage quotidien et ce que l’ethnologue Pierre Clastres et avec lui Henri Gougaud décrivent comme Le Grand Parler. Nous reconnaissons sa nécessité lors de nos lectures ou de l’audition de conteurs, d’hommes de théâtre, de poètes, d’hommes de conviction. Nous voudrions la leur emprunter, la laisser naître en nous-mêmes. Nous savons qu’elle est le fruit d’un héritage, de soins constants, d’apprentissages, de constantes remises en cause, de compétences à cultiver, d’inspirations poétiques, de modèles et d’usages répétés mais nous n’osons ou ne savons comment faire. C’est cette pratique d’une parole désirée que nous définissons, à travers tous ses aspects particuliers, comme étant Les arts de la parole. Pour en parler nous nous appuierons souvent sur des études faites en Afrique ou dans d’autres pays où cet art est demeuré vivant presque jusqu’à aujourd’hui. C’est à travers l’observation d’une pratique encore récente mais venue de la nuit des temps que nous pourrons conjecturer sur ce que pourraient devenir des arts de la parole contemporains. Nous vous proposons d’abord d’ examiner ce commerce des arts de la parole à travers ses trois aspects principaux oraux, narratifs et symboliques. Nous verrons ensuite les formes que prend cette littérature orale, enfin le chemin qu’elle a pris jusqu’à aujourd’hui, les lieux et les personnes qu’elle traverse. L’Oralité La langue est… le langage moins la parole. F. de Saussure. Cours. Il parait presque inconcevable que l’on ait accordé aussi peu d’importance, au cours des siècles, au fait que la parole était avant tout un son. C’était une évidence dans les sociétés sans écriture et ce fut sans doute aussi très évident pour nous tant que l’écriture resta attachée à la lecture à haute voix. L’écriture était une partition de la parole . Voilà qu’au XIXème siècle l’oralité de la parole est redécouverte, comme le rappelle Michel Foucault dans Les mots et les choses : "Pour la première fois, avec Rask, Grimm et Bopp, le langage est traité comme un ensemble d’éléments phonétiques. Alors que pour la grammaire générale, le langage naissait lorsque le bruit de la bouche ou des lèvres était devenu lettre, on admet désormais qu’il y a langage lorsque ces bruits se sont articulés et divisés en une série de sons distincts - Tout l’être du langage est maintenant sonore- ce qui explique l’intérêt nouveau manifesté par les frères Grimm et Raynouard pour la littérature non écrite, les récits populaires et les dialectes parlés…On cherche le langage au plus près de ce qu’il est : dans la parole -cette parole que l’écriture dessèche et fige sur place… En sa sonorité passagère, la parole devient profonde. Il (le langage) a acquis une nature vibratoire qui le détache du signe visible pour l’approcher de la note de musique." De la parole à l’écriture et inversement Depuis plusieurs siècles notre civilisation s’est attachée à déployer sa pensée scientifique, sociale et religieuse par le moyen de l’écriture et de l’imprimerie. Il s’en est suivi une relégation progressive de la parole à des tâches subalternes. Ainsi l’école publique s’est attachée à diffuser une langue assujettie à ses formes écrites et centralisatrices et a écarté de ses enseignements l’expression parlée et ses particularismes ainsi que tout ce qui pouvait s’en rapprocher. C’est ainsi que les traditions orales populaires ont été soit défigurées pour rentrer dans des moules littéraires enfantins, soit dévalorisées et déconsidérées jusqu’à être rejetées par ceux-là même qui en avaient héritées. Elle a parallèlement imposé la manière de "parler comme un livre" qui oblige à lire mentalement ce que l’on dit plutôt qu’écrire ce que l’on parle. Cet état de choses amena progressivement l’écriture, qui fut créée à son origine pour servir à la diffusion de la parole, à devenir , dans de nombreux cas, un obstacle à la circulation de cette parole dont elle devait témoigner. Il apparaît aujourd’hui, et par un juste retour des choses, que la belle parole est à nouveau considérée comme nécessaire par l’homme moderne. Elle devient pour lui un attribut important. Il est amené à revendiquer pour lui-même et ses enfants l’accès à un langage remarquable qui lui apportera la considération et contribuera à son bien être moral, culturel, économique et social. Il lui faut alors apprendre et réapprendre sa langue car elle n’est plus la même lorsqu’elle devient orale. Les paramètres qui en commandent l’usage sont de tout autre ordre. L’une est dessinée pour être vue, l’autre est prononcée pour être entendue. C’est à travers les différences qui existent entre l’écriture et la parole que nous pouvons mieux appréhender ce que fut, qu’est ou pourrait être une parole artistique. Le souffle, l’incarnation, la musique, l’instant, la variabilité, la mémoire sont les portes d’entrée de l’oralité : Le souffle Ce qui distingue, en premier lieu, une parole d’une littérature écrite c’est le souffle, l’une est en lui, l’autre s’en éloigne. Nous ne pouvons vivre sans le souffle, ni penser, ni agir. Il est la manifestation la plus simple du désir de vivre et de celui de participer, inspirer et expirer pourraient résumer cette volonté. Il nous meut, nous émeut. Il en est de même pour la parole prononcée et écoutée directement Il se traduit tout d’abord par son aspect musical et rythmique. Tous nos mouvements de respiration sont commandés par lui mais aussi ceux de l’ensemble du corps. La danse accompagne ou transcende la parole dans ce passage au verbe tel que le conçoive les africains. Toutes les formes prosodiques propres à l’oralité littéraire en découlent : la régularité de la métrique, ses allitérations, ses assonances, ses rimes, la répétition des motifs et des formes, des refrains, les conventions d’ouverture, de clôture, d’interpellation et de réponses qui sans être absents de l’écriture n’y sont pas indispensables alors qu’ils le deviennent dans les arts de la parole. Dans l’oralité, ces formes témoignent d’une prise en compte de l’économie, d’un art du souffle, de la respiration de la parole et de la pensée qu’elle incarne. L’incarnation. Ce qui distingue aussi fondamentalement la parole de l’écriture – et c’est la conséquence de sa relation au souffle - c’est que l’une est incarnée dans un corps, qu’elle est parlée, soufflée, pensée, ajustée, garantie et animée par un être vivant, dans une relation physique et partagée avec celui qui écoute. L’autre ne l’est plus et le sera de moins en moins avec le temps. Dans l’écriture il faut de la distance. Des deux interlocuteurs qui participent à l’échange écrit, il n’en reste toujours plus qu’un qui ne sait presque rien de l’autre et en est forcément éloigné. C’est une bouteille à la mer. La musique. Ce qui distingue enfin la parole de l’écriture, nous l’avons dit, c’est le son. L’une est sonore, l’autre ne l’est pas. Et pour aller dans le sens de Michel Foucault, on peut dire que l’écriture n’est qu’une partition partielle de la parole dont elle témoigne. C’est sa qualité et sa limite. Elle conserve la trame et son contenu intemporel mais elle néglige les autres paramètres sonores et musicaux de la parole : le tempo, le rythme, les hauteurs mélodiques, le timbre, l’intensité enfin, l’interprétation. L’instant Ce qui éloigne la parole de l’écriture, ce sont les temps différents pendant lesquels elles sont produites et agissent. L’une est dans l’instant, l’autre n’y sera jamais. C’est un avantage et un inconvénient. Y être, c’est être ensemble et tout partager avec ceux à qui on parle ou que l’on écoute, le pire et le meilleur, avec l’obligation de favoriser ce dernier. C’est penser, respirer ensemble, vivre et s’émouvoir ensemble. N’y être pas c’est être seul, c’est être détaché du contingent, et du contingentement de temps avec une inspiration plus lente mais obstinée, toute différente de celle, rapide, inattendue, providentielle, que suscite la nécessité immédiate d’une parole dans une situation collective et périlleuse. La mémoire. La mémoire orale, c’est le souvenir de l’instant, de la musique et de la prosodie des mots, la vision des images extérieures et intérieures qui accompagnent la parole, leur espace, c’est posséder dans son corps cet ensemble de marques qui jalonne le voyage mental que nécessite une pensée, une histoire. C’est être habité par elles et vivre avec, c’est un mariage qu’il faut cultiver tout au cours de sa vie. La mémoire de l’écriture c’est tout autre chose. On peut y revenir et le sachant se satisfaire de savoir que la trace existe en dehors de soi dans un coffre fort toujours accessible mais finalement négligé. Ce qui distingue ces deux mémoires c’est surtout d’oublier que nous aussi nous sommes un livre et plus encore au sein duquel une œuvre demeure vivante, c’est à dire grandit. Il demeure que c’est dans le livre que gisent aujourd’hui nombre des trésors de nos paroles échappées de nos mémoires. Et il y a des retrouvailles à organiser avec lui. Lui qui fut le signe de la déchéance de la parole, il sauve ce que certains de ses promoteurs avaient méprisé et voulu détruire. C’est grâce à lui que des millions de collectages de contes et de paroles traditionnelles sont aujourd’hui entre nos mains, c’est grâce à lui que les conteurs d’aujourd’hui peuvent raconter. Il y a un pont à établir entre ces richesses accumulées et dormantes que contiennent les livres et cet appétit de paroles vivantes dont témoignent nos contemporains. C’est passer d’une mémoire à l’autre, faire que les artistes de paroles d’aujourd’hui deviennent ces Hommes -Livres dont parlent, chacun à leur façon, Ray Bradbury et Hamadou Hampâté Bâ. La variabilité. Une œuvre orale participe de la mémoire, sans elle le message pourrait se dégrader et progressivement s’atrophier, sans elle pas de témoignage vivant, pas de réponse. Il est un autre changement qui n’est pas involontaire et qui n’est pas contradictoire avec une nécessité de fidélité, c’est celle d’adaptation aux circonstances de l’instant. Les littératures orales traditionnelles l’avaient envisagée et recommandée. L’une des premières conséquences de cette volonté est ce que l’on appelle aujourd’hui, sans pouvoir décrire et surtout reproduire son fonctionnement précisément, c’est l’improvisation. On sait, par exemple, que les bardes des pays balkaniques étudiés par Albert Lord décrites dans son livre "Le chanteur de contes", récitaient mais aussi improvisaient largement des épopées chantées et versifiées qui pouvaient dépasser dix mille vers. Il en est encore de même dans certains pays méditerranéens où l’on joute poétiquement et de manière improvisée sur un sujet imposé. Cette qualité d’adaptation d’un message oral fait aussi que le conteur et son public vont produire différentes "versions" d’un même thème selon l’époque, les circonstances et les lieux , selon leur regard. Ainsi peut s’expliquer partiellement cette universalité et cette diversité des contes rencontrées dans le monde entier. La narration Engendrée par le verbe, la parole s’affirme de plusieurs façons. L’enfant babille d’abord puis à l’âge de l’adolescence il apprendra à s’exprimer en un langage pseudo secret. Mais l’adulte à un héritage plus riche et sa parole s’énonce soit sous forme de maximes, soit sous forme de dictons ou de proverbes. Pour exprimer une pensée plus nuancée, pour donner à sa parole plus de force et plus de vie, il se sert bien volontiers d’un mythe, d’une fable ou d’un conte. Autrement dit, le mode d’existence de la parole est la littérature. Eno Belinga. Littératures et musiques populaires en Afrique noire. éd. Cujas Une littérature. Nous venons de le voir, les arts de la parole se construisent au sein du langage. C’est une littérature. Ils se manifestent aussi au sein de l’oralité. C’est une littérature orale, de ce terme, inventé au XIXème siècle dit-on par George Sand, certains disent par François Marie Luzel, pour décrire noblement, et à juste titre, des pratiques artistiques rurales que le centralisme français cherchait à dévaloriser. Cette littérature comprend de nombreuses formes : des œuvres poétiques, dramatiques ou rhétoriques, mais ce qu’elle propose surtout ce sont des œuvres narratives : des récits et des contes, eux aussi très variés, nous le verrons plus loin. Le récit, le conte Cette prééminence de la narration dans une littérature orale populaire s’explique d’abord par une constatation de bon sens. L’humain, quels que soient son âge, sa culture, son lieu de naissance ou la période dans laquelle il vit, aime et a toujours aimé entendre des histoires. Il s’y reconnaît, y est reconnu et représenté par elles. C’est une représentation accessible à tous. C’est un moyen de se définir, de s’identifier. Ainsi chaque peuple ou civilisation se reconnaît dans un ou plusieurs récits de fondation ou emblématiques. Il se reconnaît aussi dans les histoires facétieuses et ses personnages légendaires, dans ses histoires enfantines, dans ses proverbes, dans sa propre façon d’inclure la narration au sein de sa vie.C’est aussi l’un des moyens les plus simple d’envisager sa vie comme une histoire avec un début et surtout une fin ayant un sens. Il y a là, certainement par l’identification, mais aussi par la comparaison, la possibilité d’estimer sa propre trajectoire, de la mesurer. Un compte La parole fut, sans doute, ainsi que l’écriture à ses débuts, un moyen de compter, de dénombrer, d’énumérer. Nos premiers mots furent peut être des nombres. Les premiers contes d’énumération que l’on destine aujourd’hui aux enfants témoignent de cette antériorité. On pourrait avancer alors que la possibilité de se représenter des objets ou tout autre chose, de les décrire, les énumérer est un acte de propriété, un constat, un contrat, un inventaire, un commerce de mots et que ces mots deviennent une monnaie d’échange. Ainsi peut se comprendre l’une des étymologies du mot conte . C’est un échange matériel : "Je mets dans ton esprit ce qui se trouve dans le mien.". C’est aussi un moyen de mesurer, de jalonner l’espace mais aussi le temps, un moyen de se situer dans une navigation qui sera toujours hasardeuse. Le fil Cette importance de la narration dans les arts de la parole s’explique aussi par l’oralité et le langage dans lesquels ils s’inscrivent. L’oralité et le langage sont linéaires. On ne peut tout dire et entendre en même temps comme on peut, à contrario, de façon synoptique, contempler une image. Dans la narration il y a un début, une fin ; une cause, une conséquence ; un nœud, un dénouement. C’est un cours, un écoulement, une circulation, un sens. C’est un voyage. La narration est commandée par le temps ; d’abord par le temps qu’elle a pris pour venir jusque à nous, ensuite par sa propre durée, enfin par le temps de l’histoire qu’elle représente. Ce fil mystérieux, le fil de l’histoire, invoqué par tous les narrateurs est, sans doute, le symbole le plus parlant de ce chemin de pensée que suit le conte. Ce fil qui, une fois saisi, vous emmène dans une succession d’ événements dont vous retrouverez la mémoire comme par enchantement. Le suspense Ce fil, fait d’une longue chaîne de causalités, est aussi une succession de questions et de réponses savamment distillées jusqu’à la résolution finale. Ainsi pourrait-on dire que le début d’une histoire est une question, une devinette, une énigme et que la fin de cette histoire est la réponse - Que va devenir une petite fille insouciante qui va chez sa grand’mère ? Elle sera mangée par le loup !- Ce chemin, fait d’occurrences et de choix, de questions et de réponses successives menant -on le sait ! - à une résolution finale le plus souvent connue, fait apparaître, au fur et à mesure que s’échafaudent les résolutions, ce plaisir que nous cherchons dans les histoires : le suspense. Et celui-ci va croissant tandis que le nombre des occurrences diminue en se rapprochant du terme du conte. On peut alors s’interroger sur ce plaisir du suspense, connu, goûté et apprécié par un si grand nombre d’entre nous. On constate que le suspense se ressent et s’apprécie comme une crainte, une attente, une souffrance mais qui, bien qu’éprouvées, ne mettent pas en cause celui qui les suscite. C’est que la narration et l’audition d’un conte ancien seraient, comme le propose Vladimir Propp dans son livre Les Racines historiques du conte merveilleux, l’écho d’un rite, d’une épreuve d’initiation qui conserverait son pouvoir de terreurs et d’effrois, d’émerveillements et de révélations propres à transformer l’initié en homme accompli. Et cette contention de peur, d’impatience et de curiosité dont nous réussissons à faire preuve en écoutant ou en disant une histoire ressemblent à celle dont faisaient preuve les candidats à l’initiation et nous procure le plaisir et la satisfaction d’avoir, nous-mêmes, réussi un passage. C’est un acte analogique. Le Symbolique « Ainsi devant le miroir, nous sommes amenés à nous interroger sur la nature exacte de la réalité, sur les liens qui unissent les représentations mentales aux objets qui les provoquent. Le problème se pose de joindre la nécessité humaine résultante de nos désirs, à la nécessité naturelle conduite par des lois implacables. Au-delà de l’agrément, de la curiosité, de toutes les émotions que nous donnent les récits, les contes et les légendes, au-delà du besoin de se distraire, d’oublier, de se procurer des sensations agréables ou terrifiantes, le but réel du voyage du merveilleux est, nous sommes déjà en mesure de le comprendre, l’exploration plus totale de la réalité universelle. » Pierre Mabille. Le Miroir du Merveilleux. les Éditions de Minuit. Fiction et "mensonge". Cette littérature narrative incluse dans l’oralité et dans le langage se situe aussi délibérément dans l’imaginaire. Elle est évidemment dans celui de l’artiste qui la conçoit et l’expose mais ce qui semble le plus important, c’est qu’elle doit être impérativement acceptée comme telle dans celui de ses interlocuteurs. C’est pourquoi le conteur traditionnel présente sa parole comme non objective, mensongère et par conséquent forcément fictive. Ses préambules et ses clôtures annonceront que : l’ histoire était au temps où les poules avaient des dents, les ânes étaient intelligents et les cochons se promenaient tout cuits dans la rue avec une fourchette et un couteau plantés sur le dos avec de la moutarde sur la queue…. que c’était au temps où le crible était dans la paille, le poisson dans les nuages et l’oiseau dans le fond des mers….et enfin que plus vous direz, plus vous mentirez…. En agissant ainsi il situe sa parole et celle de sa communauté dans l’ordre du jeu et la met à l’abri de toute exploitation et discours partisan, partial, apparemment objectif ou exposant des faits réels. Il la protège. Il la protège pour que soient conservés, respectés et entretenus, ses pouvoirs bénéfiques et inégalables de rassemblement. Car le but évident de cette littérature n’est pas de cacher la réalité ou distraire pour s’en échapper mais de représenter ce qu’elle exprime sous une forme non blessante, non partisane, acceptable par tous. La parole polysémique Conte conté, à raconter, seras-tu véridique ?
Pour les bambins qui s’amusent au clair de lune, la nuit, mon conte est une histoire fantastique. Quand les nuits de la saison froide s’étirent et s’allongent, à l’heure tardive où les fileuses sont lasses, mon récit est un conte agréable à écouter. Pour les mentons-velus et les talons-rugueux, c’est une histoire véridique qui instruit. Ainsi suis-je futile, utile et instructif. Déroule-la qu’elle vienne… Amadou-Hampâté Bâ. Kaïdara.Classiques africains. Cette nécessité de rassembler le plus souvent possible toute la communauté est ressentie dans les sociétés traditionnelles comme primordiale. C’est pourquoi la parole qui est utilisée dans ces occasions doit être accessible à tous. Comme l’introduction à la narration de Hamadou Hampâté Bâ proposée ci-dessus le montre, le langage du conte satisfait chacun là où il a besoin : il émerveille l’enfant, il délasse les travailleurs, il instruit le vieillard simultanément et avec les mêmes paroles. C’est une des caractéristique les plus importantes du conte. Elle justifie cet adjectif de populaire que l’on accole souvent à celui de conte et de traditionnel et c’est toujours un événement heureux et remarquable, un couronnement, lorsqu’un écrivain, un poète ou un conteur invente une œuvre qui se voit admise dans ce concert des œuvres le plus souvent anonymes de littérature populaire. Il est intéressant de noter enfin que chacun peut vérifier pour et par lui-même au cours de sa vie la polysémie d’un conte. Il entendra d’abord le premier sens, le premier degré, le visage du conte, la surface du miroir, ce sens visible sur lequel tout le monde peut s’entendre quelque soit ses interprétations ultérieures. Au cours de sa vie, il réentendra le récit et le comprendra différemment. Il découvrira peu à peu d’autres aspects, d’autres images, d’autres sens qui lui avaient échappés. Enfant, travailleur, initié, c’est son regard qui aura changé. Il y a un autre façon d’envisager cette polysémie du langage et elle n’est pas contradictoire avec la première. C’est de considérer que tout ce qui est formulé par le parleur et plus encore s’il est narrateur provient de ce qu’il appelle lui-même. Ce qu’il décrit est donc ce qu’il appelle lui-même et c’est donc lui-même qu’il décrit. Il ne décrit pas l’ensemble de lui-même, mais une partie des choses qu’il y accueille. En faisant cela et l’admettant par expérience un jour ou l’autre, il se réalise comme un monde où se meuvent des personnages et des images qui incarnent une partie de sa propre réalité. En la considérant comme telle, il perçoit alors l’étendue de ce qu’il lui reste à découvrir. Il perçoit, en même temps, la providence vivifiante et protéiforme des images que cette découverte lui procure. Ce sens premier, figuratif pourrait-on dire, sur lequel tout le monde peut s’entendre, et dont on devine alors le pouvoir révélateur demande un usage respectueux qui commence par l’innocence. Il en est évidemment de même pour celui qui écoute et la conjonction des deux visions simultanées et forcément différentes de l’auditeur et du narrateur est elle même un labyrinthe d’harmonies que l’on ne peut que constater avec une surprise et un émerveillement toujours renouvelés. Vérités. Les généalogies, les faits historiques, les nouvelles, les légendes, les récits religieux et mythiques sont considérés par ceux qu’ils concernent comme des vérités indiscutables. Ils ne manquent pourtant pas d’invraisemblances. Cette interdiction de remise en cause ou cette crédulité tiennent au fait que ces récits composés dans des intentions le plus souvent partisanes devaient, par leur beauté formelle, convaincre leurs auditeurs qui ne demandaient pas mieux. Elle tient aussi au fait que certains de ces récits, en particulier les récits mythologiques ou religieux ont à exposer un système complexe de compréhension de l’univers, que seul peut permettre ce langage analogique. La difficulté sera de distinguer dans l’opacité de ces récits ce qui demeure original et les modifications apportées avec plus ou moins de pertinence et de bonne foi au cours des temps. La vérité, c’est aussi l’argument principal mais évidemment partial et discutable de la rhétorique qui est invoqué dans les plaidoiries, les discours et les démonstrations. Les sociétés traditionnelles distinguaient soigneusement ces paroles partisanes et engagées des paroles collectives délibérément fictives. La vision de l’aveugle. Si l’on réunit des récits de shamans sur leurs quêtes extatiques, sur la façon dont ils sont partis dans l’autre monde à la recherche d’une âme, sur leurs aides, leurs traversées, etc… et si on les confronte aux pérégrinations ou à l’envol du héros du conte, on obtient une correspondance…..C’est ainsi que trouve son explication l’unité de composition du mythe, du récit sur le voyage dans l’au-delà, du récit du chaman, du conte et, plus tard, du poème, de la byline et du chant héroïque… Vladimir Ja.Propp. Les racines historiques du conte merveilleux. Les grands conteurs ou devins légendaires de l’humanité ont souvent été représentés comme aveugles. Ainsi en est-il d’Homère, de Tirésias, de Merlin. C’était le moyen analogique qu’utilisaient les anciens pour décrire la fonction du narrateur. De décrire celui qui voit et fait voir l’invisible ou ce que l’on appelle l’imaginaire, ce qui est pensé ou rêvé. De dire que c’est dans cet endroit, dans l’imaginaire que se trouve la matière du conte. Et pour se déplacer dans cet espace, dans ce monde particulier, certains diraient virtuel ou mental, le plus souvent inconnu de nous parce que négligé ou ignoré, pour pouvoir y observer et en rapporter un témoignage, un récit de voyage, il est nécessaire d’avoir les moyens et les dispositions que l’on pourrait rapprocher de ceux que maîtrisaient les chamans. L’art de la parole est un moyen de voyager, on pourrait dire plus précisément de faire voyager les mondes imaginaires jusqu’à nous puisqu’il a été inventé pour nous les apporter. C’est un moyen de voir ensemble. Le langage symbolique, miroir du Merveilleux Le langage symbolique est un langage qui a une spécificité propre, et si, en son essence, c’est la seule langue universelle que la race humaine ait jamais forgée, il s’agit bien plus pour nous de la comprendre que de l’interpréter (…) ; je crois qu’une telle compréhension est (…) importante pour quiconque désire se connaître soi-même, et non seulement pour le psychothérapeute dont la tâche est de soigner les troubles mentaux. (…) Le langage oublié. Erich Fromm. Ed. Payot. Pierre Mabille, compagnon d’André Breton a intitulé l’un de ses principaux livres consacré aux contes : Le Miroir du merveilleux et nous adoptons, à notre tour, ce qui pourrait être une définition du langage symbolique. La fiction, la parole métaphorique sont le moyen, on vient de le voir, de protéger une parole commune. L’analogie et le symbole sont le moyen de représenter des idées ou des vérités intransmissibles d’une autre manière. Ils sont aussi le moyen d’en transmettre et d’en protéger la connaissance sans l’interdire, c’est à dire, l’interrompre, ni la dégrader. Ainsi se sont souvent exprimés les philosophes ou les poètes mais bien avant eux encore les compositeurs de paroles artistiques. Il ne s’agit pas de cacher, mais de montrer à ceux qui pourront comprendre, deviner, découvrir ; et de laisser goûter à tous la beauté et la sensualité attirante d’une signification vivante. Il s’agit aussi de se livrer à un état interrogatif et innocent sans lequel aucune ouverture d’esprit n’est possible ainsi que le décrit Heinrich Zimmer dans Le roi et le cadavre : L’approche psychologique de l’énigme du symbole, le dessein de lui arracher le secret de ses profondeurs, cette entreprise ne peut qu’échouer, si l’intelligence du chercheur refuse d’acquiescer à la chance qui lui est offerte d’être instruit par l’aspect vivant de l’objet proposé à son intention. Cette disposition interrogative devant ce langage énigmatique et mouvant que recèlent déjà les récits les plus simples est finalement la principale épreuve à laquelle est soumise l’amateur de conte. Concluons cette première approche pour dire que les arts de la parole sont le moyen, le plus approprié, le plus simple et le plus universel pour exprimer et partager directement un sentiment, une idée, une impression. II - Les formes de la parole artistique Le verbe est le principe dont la présence a permis à la parole de prendre corps, et son origine se perd dans la nuit des temps. Sans lui, aucun langage n’aurait d’existence pense les Bambara. Dans nos traditions culturelles, le verbe a trois coordonnées … : la parole qui sert à caractériser l’expression intérieure et extérieure de la pensée, la musique qui est beauté et enfin la danse qui reste soumise à la fois aux battements des instruments de musique et au rythme intérieur inhérent au verbe. Eno Belinga. Littérature et musique en Afrique noire. Les arts de la parole s’exercent dans le langage et dans l’oralité. Ils se distinguent ainsi , nous venons de le dire, du langage écrit par le fait qu’ils font appel au souffle, à l’incarnation, à la gestion du temps, à la mémoire et au sens de l’adaptation et, dans une moindre mesure, par le fait qu’ils sont très largement narratifs et utilisent un langage presque toujours symbolique. Ils se distinguent aussi du langage ordinaire et quotidien par les fonctions qu’ils remplissent et les intentions qui président à leur usage. Pour avancer dans une définition des arts de la parole et les distinguer encore un plus précisément des autres arts et en particulier de la littérature écrite il est nécessaire de tenter de déterminer les fonctions et les intentions qui correspondent aux arts de la parole et quelles formes spécifiques ces fonctions et ces intentions vont engendrer. Intentions La matière travaillée par le poète est faite de vocables et de sens . Un mot, c’est un vocable associé à un sens. Le « sens » du mot n’est pas une simple désignation abstraite ; « sens » veut dire en sanskrit « chose, objet, valeur » mais aussi « but », car le contenu psychologique du mot, c’est l’intention de celui qui parle, c’est une modalité de son « je ». Le sens est d’ailleurs aussi nommé « fruit » du mot, quand on considère son effet sur l’auditeur. René Daumal. Les pouvoirs de la parole. Ed. Gallimard Nous l’avons dit en préambule, il y a en tout premier le besoin de tous de disposer d’une parole belle, sincère et puissante qui distingue et honore celui qui s’exprime et ceux à qui il s’adresse, une parole qui s’accorde aux situations importantes, graves ou joyeuses de la vie. Cette parole se rapproche du Grand parler dont parle Pierre Clastres en se référant aux paroles sacrées. Cette intention initiale c’est aussi le choix "amoureux" qui prévaut sur les autres, rien ne peut se faire sans elle. Mais une parole est aussi commandée par d’autres obligations, d’autres fonctions à honorer que celles du cœur : Fonctions C’est d’abord la fonction de relation comprise au sens de l’échange immédiat inscrite dans le temps et par extension de rassemblement. C’est aussi la relation comprise au sens de témoignage, de constat, d’énumération. D’un témoignage vécu comme une remise au présent de l’événement rapporté qu’il soit passé, futur ou désiré. C’est aussi la fonction magique. Faire apparaître dans l’esprit d’autrui ce qui est dans le nôtre et faisant cela de chasser provisoirement ce qui ne devrait pas s’y trouver . C’est ainsi que l’on peut dire que l’une des principales fonctions de la parole est la distraction et son pendant l’édification. Il s’agit encore de transmission. Recevoir, porter et donner un ensemble de connaissances venues de loin dont la principale est celle de la parole dans une continuité vivante de pensée et de formes. Il s’agit enfin des fonctions d’ éducation, d’enseignement et d’initiation étroitement reliées aux précédentes. Fonctions auxquelles il faut ajouter la prière, la méditation, la représentation, les fonctions juridique, politique, thérapeutique… Toutes ces fonctions et ces intentions trouvent leur expression la plus aboutie dans les arts de la parole. Elles s’incarnent dans des formes qui ont en commun d’être sonores, verbales, musicales, poétiques, accessibles à tous, construites autour d’une causalité sans faille, concises, mémorisables mais adaptables, et d’obéir aux obligations de la représentation dans le temps, de l’énumération, de la linéarité, de la polysémie et de devoir éviter les écueils de la subjectivité par le moyen fréquent de la fiction, du symbole, de la parabole ou des métaphores. L’orateur se trouve alors devant un ensemble de genres, de formes de sujets et de styles qu’il lui faut d’abord embrasser, un "Océan de paroles" disent les indiens devant lequel il doit se déterminer pour agir de manière appropriée. Genres Il y a plusieurs genres de paroles artistiques : les paroles narratives, qui en sont les plus nombreuses, mais aussi les paroles théâtrales, rhétoriques, poétiques… Elles sont souvent mêlées les unes aux autres. Le récit emprunte des monologues ou des scènes dialoguées à l’art dramatique, des discours et des argumentations à la rhétorique, des invocations, des plaintes, des prières et des actions de grâce à la poésie - on peut voir, et ce n’est pas un hasard, tous ces genres mêlées dans l’Iliade et l’Odyssée -, mais l’art dramatique, la rhétorique, la poésie empruntent à leur tour à l’art narratif, ses anecdotes pour alléger ou distraire, ses récits descriptifs pour situer les actions, sa structure pour organiser le discours, le drame, le poème… L’art narratif lui-même produit des œuvres qui se subdivisent en récits dramatiques (les épopées, certains contes de fées ou d’ogres… ), rhétoriques (les contes édifiants, les récits d’avertissement, les contes philosophiques…) ou poétiques ( certaines fables, celles de la Fontaine par exemple ou le Roman de renard, les Chante- fables africaines, les épopées en vers, les contes de mensonge…). C’est plus particulièrement ce genre narratif des art de la parole et ses formes multiples que nous allons explorer à présent. Les formes Avant d’aborder l’inventaire des formes narratives proprement dites, regardons les jeux de paroles et les formes brèves qui peuvent être utilisés dans des contes mais qui ont aussi leur existence et leur usage propre. Ces formes ludiques sont spécifiques à l’oralité. Elles laissent à penser que les sociétés orales ne concevaient pas l’échange verbal et particulièrement l’initiation sans qu’y soit assorti le jeu et le plaisir. Les jeux Les jeux de nourrice, les comptines, les vire - langues qui servent à initier l’enfant à la parole. Ce sont des œuvres artistiques et poétiques de paroles à part entière.( Ton thé a-t’il ôté ta toue ? Oui mon thé a ôté ma toue ? - En t’aidant de tes dents dira-tu ces dentales ?) Les devinettes, les charades et les énigmes initient à la réflexion et au pouvoir énigmatique et symbolique de la parole. Dans les veillées traditionnelles elles précédaient les narrations comme pour accorder auditeurs et conteurs au langage métaphorique commun que les contes de fées mettent en œuvre. Les proverbes qui, transmis de bouche à oreille, de père en fils, de maître à élève constituent un trésor populaire de connaissances de tous ordres. Comme les devinettes dont ils souvent la forme affirmative ( Qu’est-ce qui entre toujours la première et sort toujours la dernière ? La clé entre toujours la première et sort toujours la dernière).Ils expriment la forme condensée et souvent sibylline d’une idée souvent symbolique. Les formules introductives, transitives ou conclusives qui restent dépendantes des contes, la plus célèbre d’entre elles étant : Il était une fois… Les menteries sont construites avec le même langage symbolique et polysémique des devinettes et de certains proverbes, celui qui sera déployé plus tard dans les contes. Il s’agit de dire une chose vraie en la décrivant par des jeux de mots ou des détournements de langage comme illogique ou impossible. ( "Je marche dans le ciel et je vole sur la terre…" - "J’ai marché un jour, deux jours, trois jours, un mois, deux mois, trois mois, un an, deux ans, trois ans, j’ai marché pendant des années et quand je me suis retourné j’ai vu que je n’avais pas avancé de plus de la longueur d’un grain de blé…".Les œuvres écrites qui s’en inspirent et peuvent en donner une idée sont les Fatrasies médiévales, Alice au pays des merveilles de Lewis Caroll, L’Histoire véritable de Lucien, Le Baron de Münchausen ou encore certaines œuvres d’Edgar Poe… A travers la pratique de ces formes brèves qui obéissent comme les autres formes aux lois de la distraction est enseigné de manière ludique l’inventaire et le fonctionnement de la langue et de ses pouvoirs de représentation . Les récits Les œuvres artistiques de la parole et plus particulièrement les histoires peuvent se distinguer à partir de leurs contenus et leurs formes. Elles ont été identifiées dès 1928 par deux savants folkloristes, le finlandais Antti Aarne et l’américain Stith Thomson. Ils dénombrèrent 2340 types universels et reconnaissables de récits dans des dizaine de milliers de versions différentes sur toute la surface de la terre. Ils les divisèrent en six grandes catégories : les fables d’animaux, les contes ordinaires dans lesquels ils situaient, les contes merveilleux (contes de fée et d’ogre), les contes religieux, les légendes…. , les plaisanteries et anecdotes, les contes de mensonge, les récits formulaires et répétitifs … et les autres. Les fables Les fables sont un répertoire dont l’espace figuré est assez bien délimité. Ce sont très largement des histoires d’animaux qui permettent de décrire les conduites humaines. Elles ont l’avantage d’avoir été appréciées continûment au cours des siècles et d’avoir joui de la faveur des rois et des poètes. Ainsi depuis la plus lointaine antiquité furent successivement publiées des ensembles de fables s’inspirant les unes les autres et témoignant des mentalités des civilisations où elles étaient formulées ( le Panchatantra indien, les fables d’Esope grecques, de Phèdre et d’Avenius, latines, du Roman de Renard, de La Fontaine…). Tandis que ces fables écrites ont toujours fait l’objet de soins prosodiques et poétiques remarquables que l’on lisaient à haute voix, ces mêmes sujets étaient racontés et réinventées dans les campagnes et dans les sociétés orales sous des formes souvent plus concises et prosaïques. Elles répondent à la nécessité d’édifier, d’enseigner mais aussi et comme la plupart des récits de distraire. Elles remplissent aussi par leur langage métaphorique une fonction politique par les critiques sociale qu’elles ont toujours permis. Les récits formulaires Les récits formulaires- ce que nous appelons les randonnées (dont le modèle est La chèvre qui ne veut pas sortir du chou) sont dans leur forme la plus simple un inventaire, une énumération ( Voici la maison que Pierre a bâti, le toit, le grenier, le plancher etc…)ce sont majoritairement les descriptions d’un enchaînement de causes et d’effets. On peut dire qu’ils sont à travers une formulation en général extrêmement précise et répétitive, l’ archétype de tous les récits. Ils sont la première représentation de la causalité. (Puisque le boucher veut bien tuer la vache, la chèvre veut bien sortir du chou). Ils sont eux aussi l’un des principaux moyens d’initier l’enfant à la formulation verbale et à ses règles grammaticales et logiques. Les récits ordinaires Les récits ordinaires "ordinary folk-tales" sont en premier lieu les contes de fées et tous les récits faisant intervenir un être surnaturel. Ce sont, sans doute, - et c’est la raison de leur appellation- les plus fréquemment racontées dans les veillées. Ils témoignent d’une origine difficile à cerner tant elle est ancienne (on trouve des versions de contes merveilleux dans les antiquités égyptiennes et chinoises). Contrairement à l’idée reçue, ils n’étaient pas destinés prioritairement aux enfants. Sans être formellement considérées comme des œuvres sacrées, ils jouissaient d’un grand respect malgré leur aspect délibérément fictif. Leur narration était assortie de règles précises comme celle de les raconter exclusivement la nuit. Leur origine très ancienne qui remonterait aux rites d’initiation ou à des thèmes mythiques et par ailleurs, le langage symbolique qu’ils déploient permet de dire qu’ils remplissent encore de manière plus ou moins reconnue une fonction d’initiation et d’accès à l’imaginaire avec tout ce que cela peut apporter. Les légendes et les récits mythiques, au contraire des précédents, étaient considérés comme véridiques. Ils incluaient dans leur champ de représentation le temps et l’espace réel. Ils répondent à des intentions d’édification et d’enseignement et servent aussi quelque fois d’arguments politiques ou théologiques. Les épopées "Voici qu’un désir me saisit, l’idée m’est venu à l’esprit De commencer à réciter, de moduler des mots sacrés, D’entonner le chant de famille, les vieux récits de notre race…/…, Nos amis prêteront l’oreille, nos compagnons écouteront, Dans la jeunesse qui grandit, parmi la race adolescente…/… Jadis mon père les chantait en taillant un manche de hache, Ma mère me les enseignait en dévidant sa quenouillée…" Elias Lönrot. Le Kalevala. Trad. J.L Perret Les épopées tiennent une place particulière dans l’ensemble des œuvres de littérature orale. Elles sont un monument en soi, contenant presque tout ce qui compte et qui est transmissible par des mots dans la communauté, vocabulaire, tournures de phrase et prosodie, proverbes et adages, chansons, généalogies, toponymie, mythologie, … Elles chantent les hauts faits des dieux et des hommes mais empruntent aussi de nombreux motifs au répertoire du merveilleux ancestral. C’est pourquoi elles restent souvent emblématiques de leur civilisation. A l’origine, elles n’étaient pas écrites et cependant composées en vers ou en prose rythmée le plus souvent déclamées ou chantées et accompagnées d’un ou plusieurs instruments de musique. Elles pouvaient être improvisées en formes et en durée selon des règles de composition et de prosodiequ’ils seraient difficile d’envisager aujourd’hui.Les plus grands poètes connus ou anonymes les ont composées et elles demeurent une référence, une source d’inspiration et de conduite pour les civilisations qui peuvent s’en prévaloir. Parmi les plus célèbres d’entre elles on peut citer : L’Iliade et l’Odyssée, le kalevala, le plus ancien Edda, La Chanson de Hildebrand, la Chanson de Waldhère, La chanson de Finneburg, le Poème de Gilgamesh, Les Yang-t’seu, le Dit du Prince Igor, La chanson de Roland, L’Epopée irlandaise du Cycle d’Ulster, les bylines russes, l’épopée caucasienne Narte, l’épopée tibétaine de Gésar de Ling, La Geste des Beni Hilal du Magreb et pour l’Afrique l’ épopée bantu Chaka, M’pfoumou Ma Mazono pour le Congo, Soundjata pour le pays mandingue, Samba chez les toucouleurs, Silamaka chez les peuls, Madior du Cayor pour les ouolofs, Djeky la Njambé chez les doualas, les épopées Mvet… C’est la forme artistique de parole la plus élaborée que l’on connaisse, elle remplit presque toutes les fonctions que peut remplir la parole. Il faut ajouter à l’épopée ses petites sœurs que sont les ballades, les chansons, les gwerz bretons dont l’usage a perduré jusqu’à aujourd’hui. Elles s’expriment dans le même champ narratif, poétique et musical que cette grande forme. Leur taille les rend d’un accès relativement plus aisée. Les Chante- fables. Ma mère m’a tué ; Mon père m’a mangé ; Ma sœurette Marlène A bien pris de la peine Pour recueillir mes os jetés Dessous la table, et les nouer Dans son foulard de soie Qu’elle a porté sous le genévrier. Kywitt, kywitt, bel oiseau que je suis ! Le conte du GenévrierinLes contes. Jacob et Wilhelm Grimm. Trad. Armel Guerne. La chante fable est encore pratiquée en Afrique et c’est sans doute là-bas qu’elle a atteint sa forme la plus élaborée. C’est en général un conte merveilleux mais ce peut être aussi une fable ou un récit épique ou romanesque. Ce qui la caractérise est que le cours de sa narration en général prosaïque est émaillée de passages en vers ou en prose rythmés ou chantés. Ce sont des refrains, des dialogues ou des poèmes que l’auditoire connaît et auxquels il peut répondre en chœur ou reprendre à son compte. Cette technique de musiques, de chants et de narrations est sans doute universelle bien que presque exclusivement pratiquée aujourd’hui en Afrique. Aucassin et Nicolette composée au moyen age témoigne de l’antériorité de cette technique dont elle demeure l’un des plus anciens exemples notés. Il en est de même des textes de contes tirés des nombreux collectages entrepris par les frères Grimm mais aussi par les collecteurs français du XIXème siècle que l’on voit émaillés de refrains et de dialogues qui manifestement devaient être chantés mais dont la musique n’a pas été conservée. C’est à travers ces témoignages venus des épopées ou des chante fables ou bien encore plus précisément des ballades et des chansons narratives européennes que l’on peut mesurer l’importance de la musique dans la parole artistique. Les plaisanteries et anecdotes Si les contes merveilleux et les légendes devaient être racontés en général la nuit et quelque fois de manière solennelles quand il s’agit des récits sacrés, les plaisanteries et anecdotes qui sont le plus souvent des récits à chute ou à morale ( les histoires de Shra, certains sujets mettant en scène des humains dans fables de La Fontaine ou d’Esope, les récits édifiants, religieux ou philosophiques…..) sont les récits les plus fréquemment racontés le jour et dans toutes les occasions de la vie quotidienne. Ils sont le plus souvent dits "à propos". Cette forme d’histoire, brève, frappante, improvisée, amusante est en conséquence soumise obligatoirement à la variabilité. Elle doit s’adapter aux publics et aux circonstances au cours desquelles elle est proposée . Elle répond en premier lieu au besoin de distraction mais cache souvent une fonction d’enseignement, d’édification, politique ou juridique . Les contes et nouvelles d’auteurs. Aujourd’hui, alors que la littérature écrite a pris le pas sur les littératures orales traditionnelles populaires ou savantes, nombre d’écrivains héritent de ce besoin et de ce don de raconter et produisent des œuvres qui reviennent ou pourraient revenir naturellement à la narration orale. Elles sont lues à haute voix, récitées, tout simplement narrées et le plus souvent adaptées. Ces histoires sont elles-mêmes souvent inspirées des formes, des motifs et des styles oraux traditionnels. On peut trouver de telles œuvres parmi les écrivains de littérature enfantine mais aussi parmi les écrivains de nouvelles, les auteurs de science fiction, de fantastique, de "fantasy". Bien qu’ils soient conçus dans un monde différent des sociétés traditionnelles et faits pour être lu on peut les approcher avec les mêmes outils que ceux dont nous disposons pour l’ensemble des récits. Les récits de vie Un autre genre de récit retrouve la faveur des narrateurs, le récit de vie. On l’appelait autrefois chronique ou généalogie. Il y avait aussi le colportage de nouvelles, qui sans être formalisé pouvait largement agrémenter les veillées. Tous ces récits, les anciens et les nouveaux, sont en principe, réalistes. Ils obéissent cependant comme les autres aux intentions du narrateur et, en particulier, à celui qu’il a de plaire à ses auditeurs ou à ses commanditaires. Il est finalement le récit le plus courant, le plus évidemment nécessaire aux yeux de ceux qui s’y reconnaissent de prime abord. Il engendre la matière première narrative la plus abondante à partir de laquelle s’élaborera ou non, selon l’intérêt de ses motifs et du temps, des œuvres plus élaborées et plus durables telles que les épopées, les légendes ou les dits. Les ensembles Ces formes constituées de motifs universels reconnaissables sont quelque fois comprises dans de plus grands ensembles. Ces ensembles constituent alors des univers d’espace et de temps plus ou moins fictifs qui nécessitent pour l’utilisateur une longue fréquentation, de patients apprentissages, explorations et inventaires et donnent lieu à des narrations qui durent quelquefois plusieurs jours ou à des épisodes qui peuvent s’étendre sur plusieurs mois comme c’est le cas dans les cafés moyen-orientaux ou d’Afrique du nord. Ce sont : Les chaînes qui lient bout à bout plusieurs histoires courtes, fables ou facéties, appartenant au même personnage ( Les histoires de la Chèvre et du loup, du lièvre, celles de Jean le sot, de Till l’espiègle, …) Les récits à tiroirs qui entremêlent les histoires simultanées de plusieurs personnages à partir d’un récit -cadre.(les histoires du Calife Haroun al Rachid dans les Mille et une nuits, le Panchatantra indien…) Les cycles ou les gestes, les dits assemblant les histoires de plusieurs générations de personnages ou plusieurs aventures ayant le même objet (le Cycle arthurien, le Cycle kirguiz de Manas, l’Epopée caucasienne des Nartes…) Les contenus Les folkloristes Aarne et Thompson et leurs successeurs, pour la France, Paul Delarue et Marie Louise Tenèze ont analysé les contes selon une grille qui permet d’identifier les épisodes, les motifs et les traits principaux qui entrent dans la composition de l’ensemble d’un récit. Cette méthode permet la comparaison entre différentes versions d’un même conte, permet donc de mesurer la grande variabilité en même temps que la grand constance dans les thèmes que procure et que nécessite la pratique d’une littérature orale. Elle met en évidence la concision et la spécificité de composition et de style du récit oral. On peut comprendre grâce à ces travaux qu’il s’agit là d’une véritable littérature qui joue des actions et des motifs comme de mouvements dans une composition musicale. Ainsi peut-on- regarder un conte en fonction de son héros principal : qui est un homme, une femme, un enfant, un vieillard, un géant, un nain, un dieu, un héros, un animal… Il est caractérisé par son métier, sa situation familiale, ses origines, sa fortune, par ses qualités ou ses défauts, sa taille, son aspect. Il agit dans des combats, des quêtes, des mariages, des libérations, des transformations, des crimes et des châtiments, des acquisitions ou des pertes, des voyages, des apprentissages, des jugements, des vols, dans des lieux qui sont ici, très loin, sur la mer, dans la forêt, à la campagne, à la ville dans des situations de faim, de péril, de pauvreté, d’infirmité, … animé par des sentiments, des idées, des vices ou des vertus, des qualités ou des défauts, dans le temps, dans l’espace, la forêt, le ciel…. Tous ces motifs n’étant que le vocabulaire d’autres langages et d’autres niveaux de sens qui se superposent au sens premier qui demeure la référence incontestable. Les tons Ainsi peut-on comprendre une histoire selon son contenu. On peut l’appréhender aussi à partir des tons dans lesquels elle s’exprime. Ils peuvent être comiques comme le sont le plus souvent les fables ou les récits facétieux, étonnants comme se doivent de l’être les menteries, actifs comme les randonnées, les récits énumératifs, les épopées, émouvants, pathétiques, érotiques, héroïques, dégoûtants, terrifiants, comme le sont les contes de fées, les légendes … Tous ces tons, ces saveurs étant presque systématiquement entremêlées à l‘intérieur d’une même histoire pour conserver leur pouvoir. Les styles Ce qui est enfin spécifique à une œuvre narrative orale c’est qu’elle est prosaïque ou poétique, dite dans une langage familier ou antique, conjuguée à la troisième , seconde ou première personne du singulier, qu’elle est impersonnelle ou personnelle, dialoguée ou monologuée, qu’elle est plus ou moins accompagnée ou ponctuée de musiques ou de chants, de gestes, de mouvements ou de danses, de scènes ou de contributions du public ou de compère. On l’a vu précédemment, l’épopée, la chante fable sont partiellement ou entièrement composées en vers et chantés ainsi que souvent accompagnés dans leurs refrains par l’assistance. Les récits des Mille et une nuits utilisent souvent le récit personnel et introduisent ausein de leurs narrations des poèmes. En Inde les fables et les récits mythologiques sont mimés, dansés et chantés. Les faits divers et les légendes sont chantés et versifiés en Bretagne dans les ballades ou les gwerz . Les récits facétieux se prêtent volontiers au jeu dramatique et sont dits en langage familier. En Afrique, le griot est souvent accompagné d’un compère qui commentera de manière facétieuse et là aussi familière les moments émouvants ou obscurs d’un conte de fée. Il relance et soutient l’attention du public par des affirmations, des exclamations, des interrogations, un chant collectif... . Cet ensemble de formes de récit avec leurs actions et motifs, leurs images et leurs résonances symboliques, analogiques, morales et émotionnelles, intellectuelles leurs tons et leurs styles constituent le langage du récit oral. Il est conçu pour répondre à des intentions, à des fonctions et à des besoins pour lesquels l’échange verbal est approprié. Cela donne lieu à un récit simple et compréhensible par tous. C’est une œuvre d’art de parole. Et l’on peut dire en conclusion que toutes les formes qui sont produites dans le domaine de l’oralité, du langage et du symbolique sont des œuvres d’art de parole. III Les artistes de la parole Ulysse.- C’est toi Démodocos, l’aède, que, parmi les mortels je révère entre tous, car la fille de Zeus, la Muse fut ton maître, ou bien c’est Apollon. Ton dire est selon l’ordre quand tu chantes si bien le sort des achéens ; (…) Si tu peux tout au long nous conter cette histoire, j’irai dire partout, qu’un dieu, d’un cœur ami, dicte ton chant divin. Il eut à peine dit que, sous l’élan d’un dieu, l’aède préludait puis leur tissait son hymne(…) Homère. L’Odyssée. Chant VIII La parole, les langues, les langages sont par définition des biens communs. Ils appartiennent à tous et sont utilisés par tous. La parole nous habite et nous sommes environnés par elle. Elle est, avec le geste l’un de nos plus anciens outils. Avec le temps elle nous est devenue aussi précieuse que les éléments naturels qui nous entourent et nous font vivre. Cette propriété, cette dépendance nous rend responsable de sa qualité, de sa bonne circulation et répartition. C’est en quelque sorte une « écologie » de la parole qui devient nécessaire. C’est pourquoi l’adulte se sent le devoir de transmettre l’usage de cet outil à son enfant, ressent aussi pour lui-même le besoin de plaisir et de dignité à l’utiliser dans toutes ses propriétés. C’est un acte, un engagement. Se détacher de ce souci c’est presque abandonner totalement son pouvoir individuel de signifier, de témoigner, de célébrer, de participer. La parole s’exerce en premier lieu et le plus fréquemment à travers l’usage quotidien et contingent mais aussi à travers un art. Nous avons vu précédemment que les arts de la parole sont les moyens les plus appropriés, les plus simples et les plus universels pour exprimer et partager directement un sentiment, une idée, une impression ; que ces moyens s’exercent dans le domaine de l’oralité, de la langue et du langage symbolique ; qu’ils se déclinent en musique, en mots, en mémoires, en gestes ; qu’ils se structurent en énumération, en causalités, en suspenses, en analogies, en fictions, en messages polysémiques et symboliques. Nous allons voir maintenant où ils sont pratiqués, comment et par qui. Les pratiques artistiques de la parole Le conte, la littérature ou le récit oral et les arts de la parole en général s’exercent apparemment dans tous les champs de la vie quotidienne tout autant que dans des situations artistiques définies comme telles mais avant tout dans des occasions de rassemblement. Narrations, chants et discours couronnent les bonnes rencontres. Ils sont un emblème de la relation. Comme on l’a vu précédemment pour les formes artistiques de la parole, les lieux et les occasions où les arts de la parole sont nécessaires se définissent par les fonctions qui les suscitent. Les arts de la parole au quotidien Ainsi voit-on les parents considérer comme indispensable de raconter, comme ils le peuvent, des histoires souvent exemplaires à leur enfants, de les initier au langage à travers des jeux qui se sont transmis de génération en génération. Il en est de même des enseignants chargés des classes enfantines. Ils remplissent alors une fonction éducative et de transmission Cette pratique se continuera dans les familles, les colonies de vacances et plus tard, dans une relation de parrainage, d’individu à individu. On voit aussi, dans de toutes autres situations, des blagues et des histoires facétieuses se raconter au café, au travail, au cours des repas, dans les cours de récréation. On y voit satisfaits les besoins de se distraire, de rire ensemble, mais aussi d’exprimer des problèmes personnels ou de société de manière ludique. C’est à l’église, au temple, à la mosquée, à la synagogue que sont transmis les récits édifiants et partagé la prière. C’est au couvent ou lors de rencontres spirituelles ou intellectuelles que sont racontés et discutés des récits philosophiques ou religieux pour enseigner. C’est au travail que l’ont dit ou que l’on raconte des proverbes, des fables ou des blagues, des récits de vie initiant l’apprenti à sa future condition. On voit encore des bibliothécaires raconter pour initier les enfants à la lecture, des animateurs sociaux ou culturels eux aussi raconter pour relancer une pratique communautaire. On remarque enfin un souci d’éloquence dans les discours politiques, dans les plaidoiries des tribunaux, dans les sermons des églises, dans les relations d’événements journalistiques ou les argumentations commerciales ou tout simplement chez quelqu’un qui défend une cause avec dignité. On peut considérer alors que les arts de la parole se pratiquent dans la vie quotidienne et dans toutes les couches de la population encore aujourd’hui, comme cela s’est toujours fait dans les sociétés qui nous ont précédées et que cela ne peut être autrement. Que ce moyen d’échange et de circulation du langage constitue le principal outil de perpétuation et de ré-appropriation permanente et populaire d’une parole artistique. C’est en un mot partout et à tous moments où le besoin d’entendre une œuvre d’art de parole est reconnu et partagé par celui qui peut ou veut dire et ceux qui peuvent ou veulent écouter que cet événement peut avoir lieu. Les arts de la parole en performance Alors que les arts de la parole continuent, tant bien que mal, à être pratiqués dans la vie courante et dans des conditions domestiques, ils sont simultanément, et de plus en plus, exercés par de nouveaux conteurs qui en font profession. Ces artistes exercent leur activité dans des lieux, des circonstances et pour remplir des fonctions souvent comparables à celles qui sont ou qui pourraient être honorées par les personnes directement concernées et que nous venons de citer plus haut. Les lieux d’éducation Ainsi interviennent t’ils dans les lieux d’éducation, les crèches, les écoles maternelles et primaires, les bibliothèques. On peut dire qu’ils y perpétuent, prolongent et renouvellent, avec l’accord des enseignants et des enfants, la transmission et l’apprentissage de la langue et de l’imaginaire initiée par ceux-ci et les proches de l’enfant. Les lieux publics Ils interviennent aussi dans les lieux publics. Ce sont les maisons de quartiers, les maisons de jeunes, les maisons de retraites, les prisons, les musées, les hôpitaux, les foyers ruraux, les centres culturels, les associations locales, les municipalités... Dans ces lieux le conteur a pour fonction première de rassembler, de relier par un moyen simple et accessible à tous autour de sa parole. Il lui faut ensuite s’adapter à la spécificité des situations, des publics et des missions de ces lieux. Là aussi il peut remplacer ponctuellement et de manière festive le conteur local, l’animateur, le bibliothécaire, le responsable d’association et l’initier à ce rôle de conteur que celui ci désire remplir ou remplit déjà habituellement. Les stages ou et ateliers Ils interviennent aussi lors de stages ou d’ateliers au cours desquels ils initient les participants venant de tous horizons à la pratique de la narration. Dans toutes ces circonstances et ces lieux, ils remplissent à la fois une fonctions artistique et distractive mais aussi des fonctions d’initiation, de transmission et d’éducation . En agissant ainsi ils contribuent à la diffusion de leur art en préparant leur futur public et en introduisant cet art dans la vie quotidienne de chacun. La scène Ils se produisent enfin, mais plus rarement que dans les lieux cités précédemment, sur des scènes dans certains cafés ou cabarets spécialisés dans le conte, dans des centres culturels ou de rares scènes nationales, dans des théâtres ayant inclus les arts de la parole dans leur programmation, dans des festivals, ou lors de fêtes. C’est là que leur est demandé la plus grande exigence artistique, c’est là qu’il faut distraire, émerveiller, émouvoir, relier, témoigner, transmettre c’est là qu’ils sont appréciés ou écartés. C’est dans la variété de ces lieux et de leur fonction, des difficultés qu’il rencontre que le conteur construit son art et se fait reconnaître. C’est à travers ces expériences et l’acquisition des répertoires et des savoir-faire que requièrent ces situations, avec l’enfant, l’adolescent, l’urbain, le rural, le vieillard, le touriste, le malade, devant l’amoureux de conte que le conteur se forge une parole souple, adaptable et universelle, un style, une écriture, une conviction qui caractérise sa compétence et justifie sa reconnaissance sociale actuelle. Culture commune On peut deviner après ce rapide inventaire des performances et des formes populaires de parole artistique que la frontière qui sépare les artistes de profession de ceux qui ne le sont pas est délicate et souvent arbitraire. Elle impliquerait qu’il n’y a de véritables artistes que professionnels et que les parents, les enseignants, racontant aux enfants, les amis à leurs amis et tous ceux qui inventent du Grand parler dans la vie quotidienne ne sont pas des artistes. Il est évident qu’un art - et en particulier un art de la parole - ne peut exister que s’il est accepté et compris par tous comme un art finalement collectif, comme un art concernant la société dans son ensemble et dans laquelle chacun peut associer, dans la mesure où il le souhaite un art à sa vie. Un conteur "professionnel", un artiste, c’est à dire qui s’y engage totalement, devient par cette solidarité, un porte -paroles de sa communauté, de son art et de sa langue, un inventeur et un lanceur de paroles. Sa pratique contribue et participe à celles des autres membres passés, présents ou à venir de sa communauté qui eux aussi « ont inventé, inventent ou inventeront » pour lui et pour tous. C’est pourquoi on peut dire en résumé que les arts de la parole peuvent et doivent être pratiqués par toutes personnes désirant les exercer, et que ces arts trouve leur raison d’être tout autant dans la vie quotidienne que dans des représentations spectaculaires. Les qualités et fonctions du conteur Les artistes de parole et plus particulièrement le conteur qui s’expriment comme on l’a déjà vu dans le domaine de l’oralité, du langage et du symbolique font preuve de qualités, rencontrent des situations et disposent de moyens qui leur sont communs. C’est que nous sommes allons inventorier maintenant. Nous passerons ensuite à ce qui les distinguent et qui, comme pour le répertoire, fait apparaître néanmoins une très grande variété d’approches . Les roles du conteur Les arts de la parole se distingue, nous l’avons dit plusieurs fois, en quatre genres : l’art narratif, l’art dramatique, l’art lyrique et poétique et la rhétorique. Les artistes de parole peuvent aussi se distinguer ou se ressembler à partir de ces mêmes critères. Homère, artiste de la parole par excellence, nous a laissé à travers l’Odyssée et l’Iliade, le parfait exemple d’un homme rassemblant tous les attributs du manieur de mots, ceux du poète quand il compose, invoque et chante ; du conteur quand il raconte, décrit, commente, interpelle ; de l’orateur quand il exhorte, flatte, remercie, argumente ; du comédien quand il incarne les différents personnages auxquels il a donné la vie. Le conteur, à son image, et toutes proportions gardées, agit de même. Il dispose de tous les outils et des compétences des artistes de la parole dans toute leur variété. Il est conteur à plusieurs titres et peut honorer de ce fait les fonctions qui en découlent. homme de relation C’est évidemment le premier titre que porte un artiste de la parole. Il relie les hommes, les choses et les idées entre eux. Il est le catalyseur de la rencontre. Il donne du sens à la communauté à travers cette rencontre. Il propose, il interroge, il appelle, il inventorie. homme de paroles Il est un homme de paroles au sens ou l’on dit d’un écrivain qu’il est un homme de lettres. Cette reconnaissance de compétence ne va pas sans un certain nombre d’obligations qui peuvent paraître lourdes. Elle exige de lui qu’il s’en montre digne, qu’il réponde aux demandes qui lui sont faites en cette qualité, qu’il témoigne d’une connaissance vérifiable de son art dans toute la variété de ses constituants et de ses applications. Son chemin se dessine alors avec plus de clarté mais aussi avec une ampleur impressionnante et effrayante qu’il peut n’avoir pas soupçonnée. Car il ne peut plus ignorer ceux et celles et leurs œuvres qui, le précédant, ont tracé, pour lui et pour tous, cette longue histoire du langage au bout de laquelle il se trouve et qu’il doit retracer à son tour. C’est un engagement Il remplit là encore une fonction de transmission éducative et patrimoniale…Ce peut être aussi et enfin une fonction morale si l’appellation d’homme de parole était comprise dans ce sens, dans cette compréhension du terme qui avait encore un sens il n’y a pas si longtemps lorsque l’on s’engageait en « donnant sa parole ». narrateur Il est narrateur évidemment puisque en littérature orale, le récit est la structure de texte la plus fréquente, la plus performante, la plus appropriée, la plus prisée. Il maîtrise alors les notions d’énumération, de logique, de causalités, de suspense. Il déploie un langage symbolique, analogique et polysémique. Il remplit à travers ces formes une fonction de distraction, d’éducation, d’enseignement. poète Ses premiers pas, qui sont souvent semblables aux derniers, sont souvent entrepris sous l’impulsion d’un désir que l’on pourrait qualifier de poétique. Sans même qu’il se le soit formulé, ou qu’il en ait reconnu avec précision la saveur, l’artiste de parole est accompagné dans l’exercice de son art de l’effluve des mots et des idées qu’il formule. Il répond évidemment aux règles de l’oralité, à celles du récit et de la littérature orale mais aussi à celles beaucoup plus subtiles et complexes de l’analogie et du symbolisme qui donne naissance à la poésie. Le mariage des sons et des sens qui se succèdent de son esprit à ses lèvres jusque parmi son auditoire fait apparaître des mélanges inattendus et vivifiants. Avec son assemblée, il découvre alors la magie de la représentation du réel et ses pouvoirs. Son récit qui obéissait exclusivement jusque là aux lois prosaïques de la narration, à la linéarité, au suspense, à l’entretien de la curiosité, se voit tout à coup commandé par un nouveau besoin d’enthousiasme et d’émerveillement. C’est là que se révèlent nécessaires des modes d’expression qu’il croyait dévolu aux enfants ou aux ivrognes, des jeux de mots, des jeux de sens et de sons, des menteries, des absurdités, des non sens, des fratasies, des prières. Le conteur retrouve alors ce besoin et ce bonheur de chanter, d’appeler, de célébrer le sensible et l’inaccessible, d’être le témoin de la poésie de la vie comme dans son enfance il l’avait déjà manifesté innocemment. Il remplit une fonction d’initiation et d’édification. orateur Il n’est pas possible d’ignorer qu’un conteur est un orateur. Il défend une cause. En tout premier lieu, il défend sa propre cause, sa propre présence et ce n’est pas quelque fois une mince affaire. Il défend aussi à travers la sienne la place des conteurs en général. Enfin il défend d’abord et surtout la cause de l’histoire qu’il raconte. Il est convaincant, éloquent, instruit dans l’art de la rhétorique. Il remplit une fonction juridique, politique, diplomatique. homme de théâtre Le conteur joue. Il joue comme un comédien joue. Il joue d’abord à être lui-même. Il joue ensuite à un personnage ou un autre, un objet, un lieu, un élément. Mais ce qu’il joue d’abord c’est l’histoire. C’est ce qui le différencie du comédien. Tout en étant comédien le conteur est metteur en scène d’une scène qui se trouve en lui même et dont ce qui l’entoure et lui-même n’est que la représentation. Il remplit une fonction de représentation. Il fait apparaître l’invisible. Il remplit une fonction magique et participe à l’expression du sacré. La qualité du conteur "…(les griots) apparaissent comme des artisans de la parole…ils mettent continuellement en jeu des facultés de réadaptation, de recréation, voir de création (de la parole)….ils font montre de deux qualités primordiales : l’imagination et le cœur…pour parvenir à l’expression trois autres facultés leur sont nécessaires : La première est l’esprit, sans cesse en éveil, qui s’applique à créer des liens … Ses effets sont le trait, le sens de la répartie, l’à-propos. La seconde est l’intelligence. Celle-ci perçoit les rapports élevés, profonds et étendus…elle s’enracine dans un héritage millénaire. La troisième, est la mémoire, conservatrice des connaissances acquises : thèmes épiques, chants et maniements de l’instrument d’accompagnement, enchaînements généalogiques etc… (…) que pour passer à la réalisation…il leur faut encore faire appel à la volonté et à la conscience. La volonté brave les préjugés et met en œuvre les facultés de création. La conscience reste, pour eux, un critère de référence et de discernement." Eno Belinga. . Littératures et musiques populaires en Afrique noire. éd. Cujas Si tout individu participe d’une manière ou d’une autre à la qualité artistique de la parole, l’artiste conteur s’engage à incarner cette qualité. Il en est la garantie. Nous avons déjà évoqué les fonctions que peut un remplir conteur et les champs d’action qui lui sont ouverts, nous voyons à travers ces quelques mots d’ Eno Belinga les qualités dont il est censé disposer en Afrique et qui demeurent universellement désirables jusqu’à aujourd’hui. Ce qui est commun aux artistes de la parole et plus particulièrement aux conteurs vient du fait qu’ils pratiquent un art qui s’exerce dans l’oralité, c’est à dire par et à travers un corps présent à d’autres et qui s’exprime dans le temps et la durée. Ce qui leur est commun c’est que cet art est de langage , c’est une littérature qui donne naissance à une représentation narrée, donc calculée, logique, justifiée, une littérature fictive ou réaliste mais toujours polysémique et analogique . Cette communauté de situation fait apparaître des qualité constamment nécessaires à l’exercice de cet art : le souffle La première qualité d’un conteur c’est le souffle sans lui nous n’en parlerions pas nous-mêmes. Ce souffle c’est évidemment la vie. C’est aussi l’échange, l’inspiration, l’expiration et toutes ses conséquences sur les mouvements du corps et particulièrement celui qui engendre la parole. C’est encore et plus simplement ce que l’on dit d’un interprète ou d’un sportif « il a du souffle », c’est à dire qu’il tient la distance, qu’il est puissant, endurant. Le conteur a besoin de souffle. Le cœur Le conteur est un artiste c’est à dire qu’il est conduit par son cœur, c’est sa seconde qualité. C’est le cœur qui lui donne l’élan, l’inspiration. C’est le cœur qui fait naître l’intention et la conduit vers le public. C’est aussi la réponse de ce public et son attachement à lui. Il y a dans le foyer que constitue une assemblée de conte un feu à entretenir pour avoir chaud. Le conteur a besoin de cœur. La présence La troisième qualité d’un conteur, c’est sa présence. Evidemment s’il n’est pas là physiquement il lui est difficile de se manifester. Il faut donc qu’il y soit, c’est impératif. Il doit être là avec tout et seulement son corps. C’est le corps qui est son espace. Il est son coffre. Il contient son énergie, sa pensée, ses sentiments, ses impressions. Il en est le contenant et le garant, il porte l’histoire. Il est la voiture. Il est son théâtre ambulant comme celui de ceux à qui il s’adresse. Y est représenté ce dont il parle. Y est dansé l’émoi et la joie. Mais ce théâtre, ce conteur a besoin d’une présence, chacun des connaisseurs de conte le sait. Quelle est t’elle ? Est ce sa présence physique ? celle de son esprit ? de son cœur ? de son histoire ? de tout à la fois ? Ce que l’on peut dire c’est que le conteur a besoin de présence. La voix Le conteur est un artiste de parole, son art s’exerce dans le domaine de l’oralité, du son, de la musique : sa quatrième qualité c’est la voix. Il la connaît, la maîtrise, sait la mener là où les sentiments le demandent, à chanter. C’est elle qui donne du son au sens. Elle est si étroitement mêlée à ce qui habite celui qui parle qu’elle est son double sonore. Elle est son messager, elle le précède de ses tons, de ses intensités, ses accents, ses timbres. Elle repousse ou elle attire, elle peut lui nuire ou l’aider. Le conteur a besoin d’une voix maîtrisée. La langue La qualité suivante est la langue, l’art de parole est une littérature orale. Le conteur est homme de parole, écrivain d’oralité. Il en est le conservatoire. Il articule, parle, formule, fait sonner la langue avec ses allitérations, ses assonances. Il la respire par le moyen de la métrique. Il la structure par une composition raisonnée, à la fois stable et adaptable. Il la laisse s’improviser ou délirer . Il la suspend. Il la laisser circuler de sa vision jusque à ses lèvres. Il l’envoie comme une flèche de son cœur ou de son esprit à ceux de ses auditeurs. Il la retient dans sa mémoire avec toutes ses formes et ses sujets. Voilà ce que fait un conteur avec sa langue. L’imagination Sa sixième qualité est l’imagination . Rien de l’esprit ne peut être traduit sans elle. Le conteur sait la difficulté du subjectif, il accepte la fiction comme une réalité totale et se laisse envahir par elle. Il entend les différents sens qu’entendent ceux qui l’écoutent. Il entend les analogies, les métaphores, les symboles. Il voie les images aux significations insondables. Il les fait voir. Comme un chasseur, il sait les approcher, les surprendre et les décrire sans interrompre leurs ballets énigmatiques. C’est un magicien qui rend visible l’invisible. Le conteur a besoin d’imagination. La mémoire Sa septième qualité est la mémoire. Mémoire vivante qui est sœur et fille de l’imagination, car il s’agit encore ici de voir et de conserver visible ce à quoi l’on tient, ce que l’on retient parmi le monde insaisissable et mouvant du souvenir. C’est elle qui connaît les chemins logiques, associatifs ou allusifs, les chemins des figures qui mènent aux mots qu’il faut dire. Elle permet d’obéir aux lois du temps. Le conteur a besoin de mémoire. L’attention aux autres Sa dernière qualité et ce n’est pas le moindre, c’est la connaissance et la reconnaissance des autrescar sans eux il n’aurait pas lieu d’être. Il les convainc, les émeut, les fait penser. Il les distrait et se distrait lui-même de ce qui l’absorbait l’instant d’avant. De leur silence attentif ou indifférent ils le conduisent vers les lieux du vrai et de l’important. Il est leur miroir et sans eux il ne peut pas réfléchir, et ils le sont aussi pour lui. Le conteur a besoin d’avoir de la considération pour les autres. Voilà ce que sont les premières qualités que possède un conteur. La solitude du conteur
Phémios, l’aède : Je suis à tes genoux, Ulysse, épargne-moi !…ne sois pas sans pitié !…Le remords te prendrait un jour d’avoir tué l’aède, le chanteur des hommes et des dieux ! Je n’ai pas eu de maître ! Un dieu dicte mon chant ! je saurai désormais te chanter comme un dieu ! Résiste à ton envie de me couper le cou ! Homère. L’Odyssée. Chant XXII Ce que les artistes de la parole et plus encore les conteurs ont encore et enfin en commun c’est qu’ils ont la possibilité d’ exercer leur art en toute autonomie, ce qui a pour conséquence leur solitude et une responsabilité indiscutable dans l’exercice de leur art. Ce n’est apparemment pas un phénomène nouveau, Homère signale cet état de fait dans l’Odyssée comme étant aussi celui de l’aède Phémios. C’est que ce pouvoir de dire appartient sans doute à la langue et à tous ceux qui l’utilisent . Et que le premier conteur demeure toujours et partout nous-mêmes qui finalement déléguons ce pouvoir, pour un temps, à celui qui se propose de l’être à notre place. Le conteur « professionnel » prend cette place, il la prend d’abord pour lui même, il se raconte à lui-même, avec ses propres critères ou du moins ceux dont il dispose. Ce ne sera que plus tard qu’il aura la possibilité d’envisager l’autre et que s’élargira alors la connaissance de son art, de ses fonctions et de ses pouvoirs. La liberté Le conteur est généralement seul. Seul avec lui-même quand il conçoit et décide des œuvres qu’il va adopter. Comme le poète, le conteur n’a besoin que de sa parole et de lui même pour s’exprimer. Il est autonome. Il est libre. Libre de se produire où, quand et comment il le veut. Il est aussi insaisissable et imprévisible que la parole qui le transporte. C’est son droit et sa responsabilité. C’est sa particularité et celle de tous ceux qui font appel aux arts de la parole tant dans la vie quotidienne que dans un exercice professionnel. Le conteur est cependant celui qui dispose de la plus grande liberté et elle lui est accordée par le fait qu’il s’engage à répondre au besoin d’entendre. Le comédien sera assujetti à ses compagnons, au metteur en scène, aux conditions techniques. L’orateur ne pourra exercer que dans des conditions déterminées par sa fonction. L’écrivain, qui partage avec lui le travail littéraire, sera assujetti aux conditions de l’écriture mais surtout à celles de sa publication. Seul le poète, à qui le conteur ressemble tant, dispose des mêmes conditions de liberté. Et cette ressemblance apparaît ici comme dans tant d’autres domaines que nous sommes amenés à penser que l’un et l’autre, mais dans le meilleur des cas, ne font qu’un. Cette liberté a des causes mais aussi des conséquences. L’indépendance Le fait de n’avoir besoin d’aucune aide pour exercer son art rend le conteur indépendant. Ce fait lui laisse toute latitude pour aborder son art comme il le sent, comme il le souhaite et de s’inventer une manière et des répertoires qui lui sont propres. Il peut ainsi se forger une originalité qui sera, pour un temps, l’une de ses satisfactions tout autant que l’un de ses avantages et la société en bénéficiera aussi. Cette autonomie ne va pas sans inconvénient. Elle peut laisser accroire qu’il est inutile de se former à cet art et plus encore qu’il ne s’agit pas d’un art mais exclusivement d’un don ou d’inspirations qu’il suffit de cultiver ou bien encore d’une simple manière de gagner sa vie opportune et facile à mettre en œuvre tant le besoin des autres d’entendre des histoires est grand. Cette évaluation qui exclue la notion d’héritage et celle de transmission le laissera rapidement démuni devant des difficultés que ces prédécesseurs disparus ou encore vivants n’avaient pas manqué de rencontrer et de résoudre éventuellement. Il peut se trouver alors en situation d’échec et dégrader la fonction qu’il remplit et qu’il est en train d’édifier et par là même la langue dont il est censé être le garant. La capacité d’adaptation Le fait de disposer de tout son matériel d’expression en lui-même et que celui çi soit la parole permet au conteur d’adapter cette parole- pour peu qu’il en ait acquis la capacité- à toutes les circonstances, à tous les publics, à tous les lieux qu’il est amené à rencontrer et ceci dans l’instant. Il lui faut, pour cela avoir envisagé ces situations et apprivoisé les moyens d’improvisation, les répertoires et les techniques appropriés pour y répondre. Cette qualité du conteur, cette mobilité permet à celui ci d’être utile et reconnu comme tel dans toutes les communautés où qu’elles soient, de faire preuve de compétence dans les champs les plus variés. Il y a aussi le fait tout à fait prosaïque mais combien apprécié par ceux qui font appel à lui qu’il n’engage que des moyens matériels modestes qui se circonscrivent à sa personne et à celle du rassemblement autour de lui. L’expérience L’expérience du conteur ne se limite pas seulement aux savoirs qu’il a acquis par sa fréquentation de situations et de publics différents, elle est constituée surtout par sa fréquentation des histoires elles-mêmes qu’il conserve en sa mémoire et redécouvre à chaque nouvelle narration. Cette familiarité avec elles et cette gestation, ce « vieillissement » comparable à celui du vin dans un tonneau, bonifient le contenu et peut être aussi le contenant que sont ces deux êtres inséparables que sont le conte et le conteur. Le vieux conteur, débarrassé des désagréments de la vanité, donne alors toute la mesure de ce qu’il contient. C’est la raison pour laquelle Amadou Hampaté Ba pouvait dire qu’un vieillard africain était comparable à une bibliothèque vivante. Il en est de même pour un conteur. La solitude Nous venons de dire et de répéter que la parole artistique s’exerce le plus souvent seul, que cette caractéristique permet à celui qui la pratique d’être mobile, et adaptable, d’être libre. Cette indépendance à son revers, celui qui la pratique est solitaire. S’il a fréquenté un maître et des compagnons d’apprentissage dans sa jeunesse, il lui aura fallu les quitter pour se retrouver seul face à ses auditoires sans cesse renouvelés. Et il ira de lieux en lieux avec pour uniques, fidèles et véritables compagnons que ses histoires. L’errance Cette solitude paradoxale pour quelqu’un dont la fonction est de rassembler peut être douloureuse et pesante. Ainsi qu’il va de lieux en lieux, résolvant à chaque fois une combinaison de difficultés nouvelles, il va aussi d’un sujet, d’une technique, d’un apprentissage à un autre sans savoir où ces tentatives le mèneront. Il ressent alors, devant cette situation qui lui paraît stérilisante, un besoin d’émulation, de partage de connaissances et d’expériences reliées à son métier. C’était la fonction des Jeux floraux d’autrefois, des joutes, des concours poétiques, des confréries qui nécessiteraient, sans doute, pour être repris aujourd’hui une reconnaissance désintéressée de ce besoin. C’est que cette discipline artistique est encore en gestation et que l’originalité des artistes prévaut encore largement sur ce qui pourrait leur être commun et donc partagé et joué. C’est aussi qu’une discipline ne vaut que lorsque elle est reconnue comme telle ; et que cette reconnaissance ne peut être acquise que par le moyen d’un travail en commun que l’exercice solitaire ne peut pas permettre. Il existe dans certains pays des règles de narration en commun qui le plus souvent s’exercent dans la récitation des épopées. Ainsi, par exemple, les bardes nordiques chantent alternativement leur récit en se balançant et en se tenant les mains. On peut voir aussi que le chant populaire a gardé le souvenir de ce partage dans les chants à répondre ou à danser. Ce qui est à retenir et à redécouvrir pour renouer avec une pratique collective de la parole artistique c’est qu’il est nécessaire de disposer d’un jeu de conventions sensibles s’appuyant d’abord sur les constituants de la littérature orale qui sont la musique, la langue et ses structures - comme c’est le cas dans les deux exemples précédents - et l’imaginaire. Enfin et pour conclure sur ce sujet, il faut se souvenir que le récit n’est que la préfiguration de l’art total que pourrait être le théâtre, comme le comprennent les africains ou les indiens, au sein duquel tous les arts ont leur place et leur fonction et se retrouvent liés et dépendants les uns aux autres. Le conteur y trouverait alors naturellement sa place et de nouveaux compagnons d’aventure. Les différents genres de conteurs Nous avons dans les pages précédentes tenté de décrire ce qui caractérise les arts de la parole et les œuvres qu’ils engendrent, nous venons avons vu les situations auxquelles répond cette pratique artistique et nous venons de voir les qualités universelles dont dispose ou peut disposer un conteur. Il nous faut étudier maintenant les choix qui le déterminent et les réponses qu’il peut apporter. Si les qualités et les situations que nous venons d’évoquer paraissent communes à tous les conteurs, elles ne leur sont pas distribuées également, ni appréhendées de la même manière, c’est ce qui va d’abord distinguer les uns des autres. Leur personnalité et leur histoire y contribuent aussi largement. Leur rapport au public, aux circonstances, leurs différentes utilisations de techniques, de formes d’écriture et de paroles, de répertoires, de styles, enfin et surtout les engagements qui président à leurs choix déterminent finalement leur originalité. L’engagement. L’artiste de parole, comme on l’a vu précédemment, découvre rapidement qu’il n’est pas seul sur terre, que d’autres artistes l’ont précédé avant lui, ont réfléchi, essayé et qu’il hérite d’un art, de manières, de connaissances, de pratiques dont il devient propriétaire mais aussi responsable. Il peut savoir aussi que d’autres vont lui succéder. Il s’engage artistiquement et remplit une fonction de transmission. Il sait que son art participe au bon fonctionnement de la société et qu’il a un rôle à y jouer. S’il ne veux pas le savoir, la société se charge vite de le lui rappeler cruellement. Sans échange pas de salut. Il peut se satisfaire de répondre à ce que la société lui demande le plus fréquemment, une fonction de distraction par exemple, ou bien à ce qu’il sait le mieux faire. Il peut aussi choisir d’orienter ses pratiques vers des fonctions par lesquelles il se sent concernées ; s’il s’intéresse aux enfants, il va vers l’éducation, l’enseignement, l’initiation ; s’il est concerné par l’avenir de son peuple, de son pays, de son groupe social, il s’engage son art dans une fonction de transmission ; s’il veut contribuer à une meilleure justice, il essaye de remplir une fonction politique, juridique ; s’il est concerné par une religion ou un système philosophique, il essaye de remplir une fonction d’édification ; s’il veut aider un être en difficulté psychologique ou mentale, il peut remplir une fonction thérapeutique. Dans tous ces cas, il s’engage à remplir une fonction sociale. Il serait bon qu’il se souvienne que, quelques soient ses orientations particulières, il demeure un artiste de la parole, que cet art et cette parole ont pour fonction de rassembler et que c’est un engagement de les défendre. C’est par la force et la nature de son engagement que se distingue un conteur. L’expérience. L’originalité du conteur s’inscrit dans le temps. A peine le désir de s’exprimer s’est-il manifesté chez le conteur débutant que, tel un fruit, ce désir va mûrir, grandir et se déployer dans des champs, à l’origine insoupçonnés, par celui qui y a répondu. Cette exploration, cet inventaire actif, cette fréquentation et rumination de ses œuvres vont bonifier sa pratique et sa connaissance. Le conteur se distingue par la qualité de son expérience. Le genre et le style L’histoire, les engagements, les compétences, l’éducation, l’apprentissage du conteur peuvent déterminer le genre de narration qu’il va adopter majoritairement. Il va se déterminer en fonction des œuvres choisies, inventées ou empruntées et la façon de les dire, avec un texte et un déroulement pré déterminés ou improvisés. Apparaît la différence qu’avait envisagé les anciens grecs en distinguant l’aède et le rapsode dont l’un inventait et l’autre répétait. Le genre le plus immédiatement nécessaire et aussi le plus accessible est celui que l’on pourrait nommer prosaïque. Il est abordable par tous et il a l’énorme avantage d’être familier ou de la paraître quand il s’agit d’un art. Il permet un rapport de confiance avec l’auditeur et d’être utilisé pour la narration de presque toutes les œuvres de littérature orale. Mais ainsi que nous venons de le noter, il y a une grande différence entre celui qui parle naturellement et celui qui y prétend. La spontanéité d’un conteur occasionnel ne peut se comparer à celle de l’artiste qui va répéter sa performance, la remettre en question, qui va rencontrer des publics et des situations différentes qui l’ obligent à considérer son travail comme une œuvre dont il répond aussi bien sur le fond que sur la forme. C’est ainsi que se présente la nécessité d’une élaboration littéraire. Le second genre de narration que peut adopter le conteur est justement le genre littéraire. Le conteur adopte immédiatement un texte, soit celui qu’il a élaboré, soit celui d’un autre qu’il a adopté et peut être adapté. S’impose alors la difficulté d’apprendre par cœur et de retrouver dans une partition pré établie une spontanéité au moins apparente. C’est là aussi que s’impose et se définit son style, châtié ou familier, son parler régional ou classique, sa musique de langue, sa manière interrogative ou allusive Le troisième genre est le genre poétique et le plus souvent épique qui prend délibérément en compte les aspects musicaux, métriques, rythmiques de la narration et même quelque fois scéniques, lyriques et chorégraphiques. Il s’apparente à la performance du chanteur, du danseur, du comédien. C’est le genre le plus formel. Il impose une distance qui ne peut être réparée que par une grande familiarité du public avec ce genre. Il nécessite une grande préparation et se trouve fragilisé dans des situations où il n’est pas attendu. C’est, en principe, l’expression la plus élaborée que peut présenter un artiste de la parole, il permet d’envisager l’exposition de sujets qui sous toutes autres formes pourraient devenir ridicules ou désuets. Ces trois genres présentés peut être trop schématiquement peuvent être pratiqués ponctuellement par le même conteur. Le conteur prosaïque ou littéraire empruntent éventuellement au conteur poétique ses chansons, ses formules, ses répétitions, sa musique. Et celui ci emprunte à son tour aux deux précédents la possibilité de s’exprimer dans une langue commune ou littéraire ou improvisée. Il faut encore ajouter à ces différents genres de narration, d’autres genres qui se définissent par les effets recherchés et produits, par le genre de récits que choisit le narrateur ou par les publics auxquels il s’adresse. Ainsi pourra-ton distinguer le conteur divertissant qui amuse et fait rire, le romantique, qui fait pleurer ou rêver, celui qui étonne par ses entrelacs, ses récits à tiroirs, le conteur de contes de fées qui émeut et émerveille, le conteur qui choisit de s’adresser prioritairement aux enfants, le conteur régional qui sait parler de son pays et de ses voisins… Il y a enfin et surtout le fait que le conteur envisage son art comme un ensemble de genres qu’il s’efforce de cultiver également car il lui paraisse indissociables les uns des autres. C’est cette approche qui demandera le plus de temps mais qui, dans la situation actuelle d’un art en gestation, demeure sans doute et à beaucoup d’égards, la plus profitable . Le conteur, dans tous les cas, fait preuve d’un engagement, d’un choix, d’une expérience, d’un genre et d’un style qui le caractérisent. Le répertoire Ce qui va encore distinguer un conteur d’un autre, c’est son répertoire. Il dispose pour ce choix de l’ensemble des récits possibles et dont nous avons vu qu’ils sont fort nombreux. Le fait qu’il n’en peut embrasser qu’une infime partie, détermine déjà mécaniquement sa particularité. Ses choix, ses engagements, ses dispositions, sa formation préalable enfin ce que nous appellerons, à défaut, la chance, contribuent largement à la nature et à la qualité de son répertoire. La première histoire La constitution d’un répertoire commence -et comment cela serait-il autrement- par l’adoption d’une première histoire. Ce premier mariage avec une histoire est déterminant pour le futur conteur. A cet instant de sa vie d’artiste de la parole, l’individu se trouve habité par un désir très fort d’expression, par une intense intuition dont il ne peut évidemment pas dire d’où elle vient et où elle va et ,simultanément, devant un choix presque sans limite d’histoires, de formes et de manières à utiliser. Ce dilemme donne naissance le plus souvent, et plus ou moins rapidement, à une adoption de récit qui étonnamment résout de manière synthétique presque toutes les questions qui se posent à cet instant et qui se poseront à lui tout au long de sa vie. C’est pourquoi c’est toujours une merveille de voir apparaître cette première association d’un homme et d’un récit et c’est toujours une ressource pour le conteur de se référer à ses premiers engagements de parole. Cette dédication à une histoire, à un genre, à une manière, cette adéquation – on pourrait dire, cette analogie - entre un individu et ce qu’il raconte a pour conséquence, lorsqu’elle est assumée, que l’œuvre devient emblématique de l’individu, comme elle peut l’être d’une communauté. Le conteur se voit alors demandé et reconnu pour la narration de cette histoire précisément et il lui faut admettre ce fait. Il doit alors faire face au péril de la répétition engendrée par le succès. Il lui faut alors se souvenir que ce mariage qu’il a contracté autrefois, avec quelque peu d’insouciance ou d’ingénuité, l’oblige à un questionnement sur lui même et sur l’ histoire qu’il a choisie – qui l’a choisi -. La répétition, finalement assez agréable et toujours propice, l’aide alors à perpétuer cette question sans laquelle une narration devient un rituel dénué de sens. Du conteur ou de l’histoire il est souvent bien difficile de savoir qui a choisi l’autre. Le puzzle des histoires. Un grand répertoire est l’une des compétences les plus attendues d’un conteur. Il est censé, à priori, puisqu’il est conteur, connaître « énormément d’histoires ». C’est un attribut de la fonction. Ce n’est malheureusement pas toujours le cas et c’est bien compréhensible. Le conteur se sent néanmoins le devoir de répondre à cette attente. Mais comme nous l’avons vu à l’occasion de tel ou tel aspect des arts de la parole, la constitution d’un répertoire peut se construire à partir de tant de critères personnels ou fonctionnels et tant de décisions préalables d’intentions et d’engagements que l’artiste peut, s’il est sérieux, mettre du temps à se déterminer avant de commencer à construire solidement sa maison, son jardin, son espace imaginaire. Il lui faut disposer de points de repères. Les grands conteurs des sociétés traditionnelles étaient appréciés particulièrement pour leur qualité de « couture », pour leur compétence à mettre en ordre et en relation les histoires entre elles. Ce pouvoir tenait principalement au fait qu’ils s’exprimaient dans le cadre d’une pensée mythologique structurée principalement par les généalogies des différents personnages. Ainsi chaque récit raconté pouvait sembler n’être que l’un des innombrables épisodes s’entrelaçant à l’infini dans l’ensemble d’une immense histoire qui ne serait jamais totalement racontée puisque elle embrassait même la réalité de l’instant où elle était racontée et celui où elle le serait. On peut penser qu’il en est de même de toutes les histoires racontées ou racontables aujourd’hui, qu’elles s’inscrivent dans une nouvelle mythologie qui est à découvrir ou inventer pour retrouver cette cohérence que permettait la pensée mythologique traditionnelle C’est ce que tentèrent certains poètes ou écrivains de la Renaissance et de l’époque classique en utilisant la mythologie antique comme référence ainsi que les écrivains de science fiction, de fantastique ou de fantasy qui inscrivent leurs récits dans des systèmes imaginaires. Le conteur contemporain peut lui aussi construire ou envisager la totalité de ses narrations comme un immense puzzle qui peu à peu, au fil de sa vie, va se reconstituer. En agissant ainsi, il revient à l’une des premières fonctions d’un récit et donc à celle d’un ensemble de récits qui est de décrire l’imaginaire de celui qui raconte. En racontant, en se livrant ainsi, il parie alors sur le fait qu’il est lui-même un ensemble cohérent, une unité et que chacune de ses histoires décrit les mouvements, les éléments, les espaces dont il est composé lui-même. Il se reconstitue. Les suites. Le conteur peut aussi, plus simplement, ranger ses histoires selon ses intentions et les fonctions auxquelles il se destine ou bien qu’on lui demande de remplir, selon les genres de paroles qu’il lui faut utiliser pour cela, les formes ludiques et narratives qu’elles prennent, leur contenus, leurs tons et leurs saveurs et selon encore d’autres critères qui lui paraissent nécessaires. Toutes ces critères possibles constituent, à défaut d’autres clés plus magiques, des points de repère qui sont bien nécessaires à celui qui veut se constituer un répertoire ou simplement savoir ce qu’il peut faire avec des hitoires. Ce qui lui est demandé quand il a acquis une certaine expérience ou une certaine autorité, et ce qu’il produit en conséquence, ce sont ce que l’on appelle des spectacles. Ce sont le plus souvent des suites d’histoires sur un thème. Tout en répondant à une demande, à une commande, ce conteur répond aussi par ses propositions, à un besoin individuel de cohérence qui ne peut manquer de l’animer. Il voudrait que l’ensemble de sa performance ait ce caractère d’unité qui signe une œuvre artistique. Ce besoin de cohérence et d’unité artistique va perdurer tout au long de son cheminement. Ainsi se repose jour après jour, et de façon obsessionnelle la question de savoir sur quel sujet, quel genre, quelle forme, travailler . Et à chaque décision prise et réalisée la question de savoir quelles seront les relations que toutes ces réalisations auront entre elles, quel chemin elle dessine. C’est à cet endroit que le conteur exerce cette capacité de « couture » que l’on appréciait tant dans les sociétés traditionnelles. Elle lui fera défaut s’il ne la recherche pas. Tout en répondant aux différentes demandes thématiques qui lui sont faites, le conteur, tel un rameur emporté par le courant des sollicitations, cherche sa propre thématique. Les bagages Le conteur, comme tout individu, dispose d’un certain bagage linguistique et littéraire qu’il a acquis au cours de sa vie. Il va l’utiliser et l’agrandir pour remplir les fonctions dont il est chargé. Ce sont d’abord les fonctions d’initiation, d’éducation et d’apprentissage, puis celle de transmission dont il a bénéficiées lui-même alors qu’il était enfant. Ce sont elles qui l’ont amené à s’engager dans l’art de la parole. Il lui faut alors les honorer à son tour. C’est enfin la fonction artistique à travers laquelle sa compétence, sa sensibilité, ses intentions vont s’épanouir. A ces fonctions correspondent des bagages spécifiques où se trouvent les histoires dont le conteur a besoin. Le bagage maternel ou d’enfance Comme tout homme ou femme, le conteur a été d’abord un enfant. Il a appris à se servir de sa gorge, de ses lèvres, de ses doigts, de son visage. C’est à ce commencement qu’il commence aussi à apprendre sans le savoir des histoires, des jeux de nourrice, des comptines, des vires langues, des devinettes, des énigmes, des chansons. Il entend aussi des randonnées, des récits d’accumulation, c’est avec leur aide qu’il se sera initié à la volubilité et aux formulations complexes de la causalité avec leur répétitions et leur musique. Il entend encore, d’une manière ou d’une autre, quelques uns des principaux récits enfantins : La Chèvre et les sept biquets, Les trois petits cochons, le Chaperon rouge, Boucle d’or …Enfin, il entend ou pratique avec ses camarades des histoires de mensonges, des blagues, des formules d’éloquence... Peut-être les oubliera-t’il pendant un temps. Elles lui reviendront. Il peut aussi avoir l’impression que ce bagage « maternel » ou d’enfance ne lui pas été fourni en temps utiles. Cela peut venir du fait que, pour une raison ou une autre, celui ci est enfoui au plus profond de sa mémoire et qu’il ne lui reviendra spontanément que très tard ou jamais. Ce peut être aussi que les conditions de son enfance ne l’ont pas permis. Il demeure qu’il a appris à parler d’une manière ou d’une autre et que cette connaissance, aussi rudimentaire ou aussi insuffisante qu’elle soit à ses yeux, contient beaucoup plus qu’il ne pense. Elle contient aussi, pour peu qu’on la désire, la possibilité d’accéder aux secrets d’une parole plus élaborée. Elle permet, en tous cas, de comprendre l’importance de cette connaissance communautaire, de ces pratiques populaires de jeux et de récits simples de la parole qui entretiennent sans exclusive la qualité du langage. Elle permet de comprendre que chacun peut y accéder et peut y participer . Cette participation active devient pour l’artiste de parole une obligation. Ce bagage linguistique et littéraire que possède tout individu social, l’artiste de la parole se doit de le cultiver et d’en favoriser la pratique autour de lui. C’est sa préhistoire, ce sera celle de ses successeurs. Selon ce qu’il choisira de raconter ultérieurement dans l’ensemble des formes possibles et selon ses publics, il s’en servira de manières plus ou moins explicites. Il demeure son premier bagage, sa référence. Le bagage patrimonial Le second bagage dont peut disposer un conteur n’est pas acquis aussi naturellement que celui de l’enfance. Il est déterminé par l’éducation et par ce que l’usage et l’histoire admettent comme étant des récits, des œuvres remarquables qui peuvent et doivent être retenus, peut être, racontés. Ce sont toutes les histoires ou les formes qu’un citoyen ordinaire peut considérer comme faisant partie du patrimoine linguistique de sa communauté. Il en connaît les titres ou seulement les genres, il peut en avoir oublié le contenu mais il lui plait de les réentendre pour en vérifier la qualité. C’est de sa part, un acte de co-propriétaire. Ce sont toutes les formes que nous venons d’évoquer pour décrire le bagage maternel auquel il faut ajouter certaines formes poétiques populaires. Ce sont aussi les fables et plus simplement des histoires d’animaux, des histoires de voleurs, de juges, de brigands, de ruses qui exposent déjà des enseignements moraux. Ce peuvent être des récits d’enseignements ou religieux ou philosophiques qui répondent à des besoins spécifiques d’initiation ou d’édification, ou bien encore des histoires facétieuses. Ce sont aussi des contes merveilleux et tout ce que l’on appelle les contes ordinaires ou contes proprement dits, contes d’ogres et de fées, contes d’avertissement, contes terrifiants mettant en scène des êtres surnaturels qui répondent à un besoin de réflexion et d’identité. Ce sont encore des récits mythologiques, des récits étiologiques, des légendes qui répondent à un besoin universel de curiosité et de connaissance. Ce sont enfin et surtout l’ensemble des œuvres littéraires que la société, au cours des temps, a fait reconnaître comme un bien public littéraire et qui demande à retrouver ses voix. L’ensemble de ces récits constitué de fables, de récits édifiants, facétieux, de contes merveilleux ou mythologiques, est considéré comme une propriété collective. Elle nécessite une reconnaissance, une revivification constantes dont le conteur, à côté des éditeurs, des enseignants et des autres artistes de la parole se voit confier, la charge. Là, commence sa distinction obligatoire. Il ne peut embrasser l’ensemble de ce bagage. Il lui est nécessaire cependant d’en faire progressivement l’inventaire pour ensuite se déterminer dans ses choix. Son bagage va se limiter, se préciser, s’incarner. Le bagage artistique Le contenu du troisième bagage peut être constitué par tout les genres et les formes qui restent et que nous n’avons pas encore nommés et dont certains sont encore à inventer. Il est composé par le conteur lui-même selon son goût, ses origines, sa spécificité, ses qualités propres, ses intentions. Il est sa principale œuvre, il est ce qu’il aime, ce qu’il est lui-même, sa maison imaginaire, son musée, sa cave , son grenier, sa propriété. C’est là que s’allègent et se bonifient chacun des contes qu’il aime et qu’il contient. C’est le reflet de ce qu’il a été, qu’il est et qu’il deviendra. On y trouve encore certains récits obligés. Certainement des récits facétieux, des blagues, des histoires de Chra’ ou de Jean le sot qui sont un moyen d’échange et de faire rire mais aussi de réfléchir, des récits philosophiques ou sapientaux. Obligés aussi quelques uns des contes des premiers bagages pour qui il aura gardé de la tendresse et de la reconnaissance. C’est là que l’on trouve aussi les longues histoires à tiroirs, les cycles, les sagas, les enchaînements d’histoires à thème, les épopées… Là. se trouvent aussi et surtout les histoires que le conteur a fait siennes de quelques natures qu’ils aient été à l’origine. Il les a adapté, peut être écrit, réécrits, en tous cas longuement médités, quelque fois mis en scène, en musique, en geste. C’est dans cet endroit, tel un atelier de peintre, que se dessine et se précise le style et la nature du conteur d’aujourd’hui. En conclusion on peut dire que c’est par le désir et l’expérience que le conteur constitue son répertoire. On peut dire aussi que à toute situation comme à tout conteur correspond une histoire qui ne demande qu’à être trouvée et approuvée. Dire enfin que le conteur se distingue plus encore par la qualité et l’adéquation à lui-même et aux autres de son répertoire que par la taille de celui ci. L’apprentissage Ce qui peut encore distinguer un conteur d’un autre c’est enfin la formation et l’apprentissage, s’il y a lieu, qu’il a reçus . Un conteur, comme tout le monde, a d’abord été un enfant, c’est alors qu’il a commencé son initiation au langage . De la qualité de ce qu’il aura entendu dans sa jeunesse dépendra celle de ce qu’il pourra restituer. Dans une société traditionnelle, l’individu est entouré par les histoires dont le maniement est largement répandu dans toutes les couches de la population. C’est le meilleur enseignement pour le conteur qui en est issu. Il en va différemment dans nos sociétés occidentales contemporaines. C’est un usage à reconstruire. Seule peut aider une faim de paroles vraies et belles dont nous sommes sevrés depuis longtemps. Le secours des livres est notre principale providence pour cette résurgence. Ils contiennent beaucoup de ce que nous ne savons plus raconter . C’est aussi la providence de celui qui se décide à raconter. Il lui faut se pencher sur les traces des paroles que sont les livres . 8888888888888888888888888888888888888888888888 Dans les sociétés traditionnelles, le jeune conteur qu’il soit professionnel ou bénévole subissait, après avoir entendu le répertoire populaire dans les veillées et dans la vie domestique, un apprentissage auprès d’un maître qui garantissait la qualité de ses performances. Le choix du maître et de l’élève était mutuel. Cette initiation prenait plusieurs années et pouvait s’enrichir au cours de voyages au cours desquels apprenti entendait d’autres histoires et pouvaient observer d’autres manières de faire. C’est l’une des explications que donnent les folkloristes aux voyages des histoires. Il entendait enfin d’autres récits plus secrets lorsque leurs détenteurs l’en avaient jugé digne. L’apprentissage aujourd’hui A la description idyllique des facultés artistiques dont doit disposer un conteur décrite par Eno Belinga, nous pouvons plus prosaïquement lui demander de savoir s’exprimer correctement dans sa langue avec tout ce que cela implique ; de disposer d’un répertoire d’œuvres anciennes qui, à défaut d’être restituées et mémorisées par lui, auront servi à sa formation ; de disposer de capacités d’expression, évidemment littéraires en premier lieu et poétiques si possible, mais aussi vocales, gestuelles, scéniques et ludiques, éventuellement musicales et chorégraphiques sans lesquelles rien ne pourrait être réalisé dans le domaine de la littérature orale. Il faut ajouter enfin que chez un conteur, le style, la maîtrise de la langue, des techniques d’expression et surtout le répertoire se bonifient et s’accroissent avec le temps. C’est la raison pour laquelle Amadou Hampaté Ba pouvait dire qu’un vieillard africain était comparable à une bibliothèque vivante. Il en est de même pour un conteur. Alors cet homme de parole devient quelqu’un de comparable à ce que nous appelons aujourd’hui un homme de lettres avec toute la considération qui lui est due. Il prend place dans la longue généalogie des conteurs presque tous anonymes qui ont porté de bouche à oreille notre parole jusque à aujourd’hui. Mais en même temps, alors que se perpétuent une parole artistique dans les théâtres, les récitals de poésie, de chanson, on voit apparaître aujourd’hui des pratiques de narration artistiques et professionnelles affirmées comme telles et qui demandent à être rémunérées. Ceux et celles qui les proposent se réfèrent le plus souvent à des modèles et des pratiques traditionnelles aujourd’hui presque disparus : conteurs ruraux européens, troubadours médiévaux, griots africains, aèdes et rapsodes antiques, enfin et plus rarement, traditions familiales. Finalement c’est le terme générique de conteur qui leur a été attribué et qu’ils ont adopté pour être reconnus . Ils sont venus là par la littérature, le théâtre, l’animation culturelle, l’enseignement ou pour certains d’entre eux par vocation. Ils disposent de compétences et de bagages d’ expérience variés. Ils ont souvent commencés à raconter sous la direction de conteurs plus anciens et s’aguerrissent "sur le tas". Cette pratique artistique revendiquée et reconnue comme professionnelle les rend responsables de la qualité de leurs travaux et plus généralement de la discipline qu’ils représentent. Il faut noter que l’accès à cette pratique rémunérée n’est assortie d’aucune condition préalable excepté le succès et la notoriété que l’aspirant-conteur se doit d’obtenir pour continuer à exercer et que sa longévité dans son art peut être considérée comme un signe de compétence. Ainsi en est’il d’ailleurs dans beaucoup d’autres arts. Conclusion générale Concluons cette première approche pour dire que
les arts de la parole sont le moyen le plus approprié, le plus simple et le plus universel pour exprimer et partager directement un sentiment, une idée, une impression.
qu’ils comprennent toutes les formes artistiques narratives, poétiques, dramatiques, rhétoriques qui s’exercent dans le domaine de l’oralité, du langage et du symbolique.
qu’ils peuvent et doivent être exercés par toute personne désirant exprimer et faire partager un sentiment, une idée, ne impression et cela dans toutes les occasions de la vie quotidienne tout autant que dans les situations de spectacles. C’est pourquoi nous choisissons d’identifier l’ensemble cette discipline artistique dont il faut préciser qu’elle est encore largement en devenir par le terme générique des Arts de la parole.
Il nous faut aussi rappeler qu’elle se manifeste aujourd’hui principalement à travers les arts du récit et du conte.
Cependant l’essor de la lecture à haute voix, l’intérêt du monde théâtral pour la narration et les textes littéraires, le souci des institutions éducatives d’intégrer l’oralité dans l’enseignement général, la faveur dont jouissent les légendes et le récit dans les médias, participent eux aussi à l’édification des arts de la parole d’aujourd’hui. Ils témoignent enfin, avec les pratiques actuelles de narration orale, de besoins d’entendre et de parler qui n’ont apparemment pas encore trouvé leur pleine satisfaction.
Le nouveau conteur, qui à la différence du conteur traditionnel n’est pas, comme le dit joliment Muriel Bloch, "adossé à une culture" où il pourrait puiser ces références, doit généralement se créer de toutes pièces un répertoire et un style. Dans le cas de ceux qui ont derrière eux un patrimoine vivant, comme les conteurs juifs, maghrébins ou africains de France, ils doivent, s’adressant à des publics français, au moins traduire leurs contes sinon les adapter.
Où la plupart des conteurs puisent-ils leur répertoire sinon dans les livres ou les collectes des ethnologues ? Mais dans quelle mesure, s’agissant de recueils anciens, peut-on raconter des contes "dépassés" mettant en scène des rois et des princesses ? Si l’on choisit des contes appartenant à une autre culture que la sienne propre, a-t-on le droit de les raconter sans les comprendre, c’est-à-dire sans les replacer dans leur contexte ? Lorsqu’on recueille soi-même des contes encore vivants, a-t-on le droit de les réécrire ou doit-on respecter leur forme originale ? Faut-il faire une différence entre les contes authentiquement populaires et ceux qui sont l’œuvre d’écrivains ? A toutes ces questions les conteurs apportent des réponses variées selon leur personnalité, leur culture, leur origine. Mais une constatation revient comme un leit-motiv : le conte nous choisit, il nous fait signe. Comme le dit Bernadette Bricoult : "la relation conte / conteur est souvent vécue en termes amoureux ; le conte nous choisit autant que nous le choisissons. Nous le portons et il nous porte."
Geneviève Calame-Griaule. Introduction du colloque international : le Renouveau du conte, les 21,22,23,24 février 1989 au Musée des Arts et Traditions Populaires de Paris. SILENCE
LETTRES À UN JEUNE CONTEUR - publié le 20 juillet 2016
« A toi qui veux devenir conteur ou bien qui l’es déjà depuis quelque temps, ou toi encore qui t’intéresses aux histoires et à ce qui se passe quand tu les écoutes, toi qui les aimes, tu t’interroges. »
Alors ce petit livre est pour toi. À travers ses Lettres à un jeune conteur et à partir de sa longue expérience, Bruno de La Salle offre un manuel d’oralité à tous ceux qui s’engagent à conter, à raconter, à entendre cet art providentiel et universel que George Sand avait nommé littérature orale, et qui remonte à la nuit des temps.
Le conte et l’art de conter sont non seulement toujours d’actualité mais ils sont devenus indispensables dans une civilisation ou la technologie nous fait oublier la simplicité d’une parole partagée. Lettres à un jeune conteur est une formidable fenêtre d’espoir ouverte sur notre avenir.
À déguster tranquillement.
Figure majeure du renouveau du conte en France dans les années 1970, Bruno de La Salle s’illustre dans l’art de la parole, en reconstruisant épopées et chefs-d’oeuvre de l’humanité (L’Odyssée, Les Mille et une nuits, Le Cycle Arthurien…). En 1981, il crée le Conservatoire contemporain de littérature orale (CLiO) pour défendre les arts de la parole et soutenir des artistes conteurs. Il est l’auteur de nombreux ouvrages parmi lesquels Le Conteur amoureux (Éditions du Rocher), Le Murmure des contes (Desclée de Brouwer), Plaidoyer pour les arts de la parole (CliO).
EPOS tout à vous dans 24h - publié le 2 juillet 2015
C’était une femme très pauvre qui gagnait sa vie et celle de son fils unique en faisant des mouchoirs brodés. Elle aimait si fort son enfant qu’on aurait pu voir dans ses broderies les rêves qu’elle avait pour lui mais on ne les remarquait pas. On les trouvait tout simplement jolis.
Avec le temps ses yeux s’usèrent sur ce travail difficile et, le devinant, elle entreprit alors de broder un très grand mouchoir. Elle y broda avec amour le pays et la belle vie qu’elle voulait pour son enfant : une terre verdoyante, un rivière l’arrosant, une ferme, des bâtiments, une épouse joyeuse, des enfants et puis au loin des animaux dans les prés.
Elle y travailla si longtemps, que quand elle l’eut terminé, elle était devenue aveugle. Elle offrit sa broderie à son enfant qui maintenant était grand. Mais avant qu’il ait pu la saisir, elle la laissa s’envoler dans une bourrasque de vent. Il courut pour la rattraper, courut, courut pendant longtemps, deux ou trois années dans le vent. Et quand enfin le vent cessa, ce que le jeune homme trouva, ce ne fut pas la broderie ou plutôt c’était autre chose de bien plus grand. C’était la réalité de ce pays, de cette vie dont sa mère avait rêvé pour lui et qu’elle lui avait fait trouvé. C’était magique : elle y était avec lui, avec sa femme et ses enfants aussi. Les contes que nous racontons sont comme cette broderie, ils nous montrent ce que nous cherchons.
Le festival EPOS est organisé par le CLiO depuis 2006, sous la direction artistique de Bruno de La Salle. Il propose, chaque année, des Spectacles, des rencontres, des colloques, une université d’été, un salon du livre de conte, une nuit où « Tout le monde raconte ! »… « Chevalier des mots, Bruno de La Salle, qui dirige le CLiO, qu’il a créé en 1981, est l’un de ces gardiens du sens de l’oralité. Il a participé à la mise en place des plus grands festivals dédiés à l’oralité. » (Cassandre, 2004)
EPOS, c’est quoi ?
EPOS, en grec, signifie « la voix qui profère ». L’objectif du festival EPOS est de porter à la connaissance du public les chefs-d’œuvre de la littérature orale bien souvent oubliés ou déformés et de les renouveler pour les transmettre à un public contemporain. Nos actions se concentrent sur les grands récits narratifs et plus particulièrement sur l’épopée et les grands récits d’enfance. Le festival EPOS est né de la réunion de nos traditionnels salons du livre (en janvier) et des rencontres d’été (en juillet). La forme du festival
En semaine, du lundi au vendredi > Les matinées, des rencontres mêlant racontées, lectures et interventions d’universitaires et auteurs > L’après-midi, des grands récits d’enfance et des épopées à Vendôme et en Vendômois > Le soir, un grand Spectacle dans la Cour du Cloître de l’Abbaye de Vendôme > Des ateliers de formation au conte
Le week-end > Un Salon du Livre de Conte avec stands libraires, racontées, lectures, rencontres, projections et dédicaces > Une nuit où « Tout le monde raconte ! »
"Le jeu du pirate qui cache ses trésors en prévision des temps difficiles"
Cet enfant était taciturne. Ses parents fortunés ne s’occupaient pas beaucoup de lui. Ils passaient leur temps à organiser des fêtes dans leur palais et à y recevoir leurs très nombreux invités. Son oncle, qui était un original, venait quelques fois et, plutôt que de se mêler aux fêtes, il préférait jouer avec l’enfant au « Jeu du pirate qui cache ses trésors en prévision des temps difficiles ». L’enfant y prenait un très grand plaisir. Il cachait des cailloux sous les dalles de pierres qui recouvraient le sol de la grande pièce de jeu qui lui était réservée. Son oncle faisait semblant de ne jamais les découvrir.
Les parents de l’enfant perdirent brusquement leur fortune. Ils perdirent avec, la considération que leur avaient accordée les familles égales en fortune à la leur. On les laissa s’enfoncer dans la misère.
Le garçon dut gagner de quoi nourrir ses parents. Il fallut vendre tout ce qui pouvait être vendu dans le palais et le fermer. Un jour, alors que la vie devenait très rude, il s’en retourna au palais, avec la jeune femme avec qui il venait de se marier, pour s’assurer qu’il n’y restait pas quelque chose qu’il pourrait vendre. Il n’y restait rien. Il était en ruines. Fenêtres et toits étaient défoncés.
Avant de repartir, le jeune homme raconta en souriant à sa compagne « Le jeu du pirate qui cache ses trésors en prévision des temps difficiles » auquel il jouait avec cet oncle si mystérieux. Il souleva l’une des dalles qui couvraient le sol de la pièce pour lui montrer les cailloux qu’il y avait cachés. Ce n’étaient plus des cailloux, c’étaient des pépites d’or.
On ne sait jamais jusqu’où nous mènera un jeu d’enfant.
Bruno de La Salle
EPOS - 3 mois
Le printemps éclot à peine et déjà EPOS n’est plus loin ! Petit avant-goût de programmation avec nos soirées :
Samedi 4 juillet - 21h :"Le Chemin des Âmes"par Jean-Claude Botton, Michèle Bouhet et Jean-Louis Compagnon (guitare)
Adaptation du roman de Joseph Boyden
+ Une invitation à veiller jusqu’à l’aube lors de "La Nuit des Épopées" durant laquelle les conteurs des saisons précédentes de l’atelier Fahrenheit 451 se passeront la parole... forcément épique.
Et chaque jour jusqu’au dimanche après-midi des racontées, des lectures, des rencontres, des librairies itinérantes...
Après tout un périple québécois au mois de mars, Bruno de La Salle se pose à Paris le temps de deux Spectacles chez Anne Quesemand et Laurent Berman, au Théâtre de la Vieille Grille.
Petit Jean est soldat sous l’empire d’un borgne impitoyable. Un jour, un enfant d’une ville que son bataillon a envahie lui jette des pierres. Il voit dans cet enfant sa propre image et se révolte. Chassé de l’armée, il part sur les traces de son passé, de sa vie et d’une jeune femme qu’il aime secrètement : Beauté du monde.
De retour de la guerre de Troie, Ulysse traversera de nombreux obstacles avant de retrouver son île d’Ithaque et sa famille. Après avoir rencontré Calypso, Nausicaa, les Cyclopes, Circé et les Sirènes, il parviendra à rentrer chez lui et à y reprendre sa place.
INFOS ET RÉSERVATION AUPRÈS DU THÉÂTRE 01 47 07 22 11
Le CLiO au Printemps de l’Éducation
Une école Montessori, la Maison des Enfants, vient d’ouvrir à Blois en septembre 2014. Elle est destinée aux enfants de 3 à 10 ans.
Du 11 au 19 avril 2015, le Printemps de l’Éducation y fait étape. Sous un statut associatif, il s’agit d’un mouvement national destiné à renouveler l’approche de l’apprentissage de l’enfant par le biais de pratiques pédagogiques innovantes, telle la méthode Montessori.
Le dimanche 19 avril, la session blésoise s’achève par une journée d’échanges dans la cour de l’école. Rencontres, stands et ateliers pourront intéresser tant les parents d’élèves que les professionnels de l’éducation.
Le CLiO y participera activement pour présenter ses activités. De 14h à 16h, un atelier destiné aux 9-15 ans sera animé par la conteuse Magda Lena Gorska et Karima et Mounya, créatrices de bandes-dessinées.
Comme chaque mois, les conteurs de l’atelier professionnel Fahrenheit 451 "Épopées et Grands Récits" partagent leurs travaux en cours ou aboutis dans la petite salle du Perce-Oreille, Quartier Rochambeau à Vendôme. C’est une manière de rester en contact avec le public vendômois tout au long de l’année.
Le lundi 6 mai à 18h30, Marie Tomas présente une lecture de "Le Voyage de Tobyah" (d’après le récit biblique "Le Livre de Tobie").
La documentaliste du CLiO vous propose de découvrir chaque mois ses coups de cœur parmi les livres, CD ou livres-CD nouvellement parus ou acquis par la bibliothèque du CLiO.
Revue :
- La Grande Oreille n° 59-60, Automne - hiver 2014/2015 : "Cendrillon : de l’ombre à la lumière", paru en 2015.
- L’argent : contes & mécomptes, produit par ATTAC (l’Association pour la taxation des transactions financières et pour l’action citoyenne) en 2012, Jacques Combe (direction artistique).
EPOS, le festival des histoires - édition 2014 - publié le 28 mai 2014
Semaine dédiée au conte et aux arts de la parole, EPOS, le festival des histoires a lieu du lundi 30 juin au dimanche 6 juillet 2014 à Vendôme et dans le Vendômois.
Cette année, au programme, des Spectacles tout public, des rencontres, des formations, un Salon du Livre de Conte, une nuit où « Tout le monde raconte ! ».
Un avant-goût des Grands Soirs d’EPOS :
MARDI 1er JUILLET – INAUGURATION - La Chevauchée du Gange, de et par Nathalie Le Boucher, d’après des récits mythologiques indiens.
MERCREDI 2 JUILLET – Cahier d’un Retour au Pays natal, d’Aimé Césaire, par Arm et Olivier Mellano, en partenariat avec l’association de musiques actuelles Figures Libres.
JEUDI 3 JUILLET – Njeki La Njambé, de Catherine Ahonkoba, par Catherine Ahonkoba et Robert Nana, d’après l’épopée douala.
VENDREDI 4 JUILLET – Le Récit ancien du Déluge, de Bruno de La Salle, par Bruno de La Salle, Aimée de La Salle et John Boswell, d’après le poème d’Atra-Hasîs.
Epos, le festival des histoires - publié le 19 juillet 2009
Le FESTIVAL
EPOS, le festival des histoires, du lundi 20 au dimanche 26 juillet 2009 dédié aux épopées et aux grands récits d’enfance à Vendôme (41) A l’exception des stages et conférences, le festival est entièrement gratuit
LES SpectacleS :
Chaque soir, un grand récit épique
En journée, des grands récits pour petits et grands LES EVENEMENTS
Le Salon du livre de conte du samedi 25 au dimanche 26
La nuit où « Tout le monde raconte », le samedi 25
Une exposition photographique de Portraits de conteurs, toute la semaine
LES CONFERENCES et FORMATIONS
Deux stages d’initiation au conte et à la lecture du lundi au mercredi : "Commencer à raconter" et "Lire à haute Voix"
Des conférences sur le thème de la mémoire, du lundi au vendredi
Des rencontres, au Salon du livre de conte, sur le thème des histoires à raconter aux enfants
Le Conteur Amoureux - publié le 3 juillet 2007
L’auteur témoigne de son rapport à l’oralité et aux contes traditionnels. Il relie la signification de ces contes à des événements personnels et leur donne un éclairage nouveau. Il fait état de sa réflexion sur son travail d’artiste et de son rapport à l’oralité depuis l’enfance. Il nous donne un aperçu de son travail de réécriture des contes populaires et de leur musicalité et présente dans cet ouvrage trente-huit récits populaires traditionnels ou originaux, philosophiques, enfantins, facétieux, épiques ou merveilleux. Certains des contes présents dans ce livre ont fait l’objet d’une édition individuelle, dans la collection « contes de toujours » qui a obtenu le prix de la SGDL. La première édition du Conteur Amoureux a reçu le Prix du Meilleur Livre Critique de l’Institut International Charles Perrault. Le livre s’adresse aux parents qui veulent raconter des histoires à leurs enfants, aux enseignants, aux bibliothécaires, aux conteurs amateurs ou professionnels qui s’interrogent sur leur propre rapport à l’oralité, mais aussi à toute personne désirant raconter des histoires.