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REFLEXIONS
LA TRANSMISSION
Texte écrit pour les 10 ans du CMLO, 2004

LA TRANSMISSION, par Catherine Zarcate.
Texte écrit pour les 10 ans du CMLO, Rencontres, les 18 et 19 septembre 2004. Puis traduit en espagnol et anglais et publié dans la revue Ooahoo ! par l’Institut d’Etudes des Baléares, 06).

A travers le conte, nous vivons une question spécifique. Les autres arts ont une page blanche, une toile vierge. Dans notre art, la difficulté est d’harmoniser ce qu’on reçoit et ce qui résonne en nous à cela. Nous avons affaire à la transmission.
On sait tous qu’une tradition peut opprimer. Elle peut aussi nourrir. Nous pensons moins souvent que nous pouvons la nourrir à notre tour. Ce sont des questions profondes. La place de l’humain dans la chaîne des hommes ; la place de l’individu dans la société ; la place de la vie, du mouvement, de ce qui meurt, se modifie, se rénove, dans le cadre d’une tradition.

La question de la transmission pose de manière vivante et cruciale la question de la transparence. Quelques questions : si une transmission est trop fidèle, ou trop infidèle, que transmet-elle ? Quand est-ce que je bavarde, quand est-ce que je disparais ? Entre ces deux excès, quand est-ce, exactement, que je ne porte plus rien ? quand est-ce, exactement, que je transmets le plus ?… C’est un bon chemin, et une bonne question qui s’apparente à une recherche d’équilibre. En cela, je me suis toujours fiée à ce que j’appelle « le goût artistique ». C’est lui qui, en moi, a le sens de l’équilibre !

Au début, quand on découvre la matière d’une transmission, soit par des gens, en oralité pure, soit par des textes seuls, on croit que le mouvement de la transmission pourrait être linéaire, dans le cadre du temps : Etre capable de recevoir, de faire sien, puis de transmettre. On s’inquiète de vivre tout cela sans aliénation, sans se mettre de côté, ou prendre trop de place, avec respect et jeu.
Mais petit à petit, on se rend compte que ce n’est pas si simple. Dans la Colombe en Or, quelque chose est donné de très, très profond, dont j’aimerais vous faire part maintenant, et vous donner à méditer, quoi que cela terminerait mieux mon intervention. Mais il y a tant de questions qui font rage, que je vous le donne tant que nous avons l’esprit serein ! : il y est dit que « la Colombe en Or ne peut être reçue que lorsqu’elle est transmise ». Comme si la plus profonde réception n’avait lieu qu’au moment même où on transmet…
Je sens que ceci touche le cœur de notre sujet. Sans doute devrons nous étudier cela ensemble… Ces réflexions nous amènent à parler de l’amour dans le cadre de notre art.

L’amour et la transmission.

Les contes sont des vases d’amour. Rien d’autre. Et dans la transmission, ce qui est important, c’est l’amour qu’on y met. C’est lui qui fixe la réalité de ce qui est offert ou reçu. L’amour habitait le petit chant des steppes qu’une femme chantait nonchalamment en marchant, ou les nefs de Younous. Si je donne les mots, je dois aussi aller chercher l’amour qu’ils contenaient. L’amour de la vie, la joie des chevauchées, la beauté du parcours, l’amour de l’herbe qu’il y a dans un conte de la steppe, c’est tout cela que je dois aller chercher.
En plus, je dois donner tout cela à quelqu’un qui ne connaît peut-être pas la steppe ! Alors comment la transmettre ? C’est l’amour seul qui y arrive ! Il passe par mon amour du brin d’herbe ! La personne reçoit cela et à travers cela, reçoit la yourte, la joie du vent, la course folle, la joie des chiens, et le feu du foyer, tout cela en même temps, dans l’amour du brin d’herbe !... C’est ainsi. Ce qui est très beau, c’est que l’amour du brin d’herbe qui m’a tout donné, n’est pas dit !!! ceci, c’est la ruse de l’amour ! c’est le sourire de la vie elle-même ! C’est l’amour de la vie ! c’est un rire, une ouverture, un plaisir, une danse de la vie, n’est-ce pas ? Et c’est notre joie de conter !
Voilà ce que j’ai à dire de plus important sur la transmission. Le reste n’est pas aussi important. C’est une étude des vases, et de comment les porter sans tout renverser !!! Comprenez -vous ? Mais là, en parlant de l’amour, j’ai parlé de l’eau.
Maintenant, quand on va étudier les vases, il ne faut jamais oublier cela, cette parole sur l’eau.

Cette joie de conter, justement, me fait revenir à l’ordre de notre étude si sérieuse !

La Transmission de l’expérience de l’acte de scène :

La scène, avec tout ce qui s’y vit en même temps, est en soi une expérience. La présence prend en charge : l’attention au fil du récit, aux personnages, à la qualité des mots, des rythmes ; au corps, à son mouvement, sa place dans la lumière et à l’espace scénique ; la présence, l’attention, la réaction silencieuse du public ; l’équilibre des enchaînements, longueurs, qualités d’émotions, etc. ; l’ouverture d’espaces d’improvisation en fonction de la justesse du rythme ; etc…
Tout ce qui, mis ensemble, se cristallise dans la présence. Vivre cette conscience de tout cela, seul devant tous, sans garde fou, sans rien d’extérieur, sans béquilles, sans ajouts, sans filet, sans arrêt possible, cela aussi est une transmission. C’est le « métier » aussi. Quand tout roule, tout coule et qu’on atteint cette petite « transe » que nous cherchons tous dans nos Spectacles, cette présence qui devient « magique », quelqu’un qui voit cela peut avoir un déclic, aussi. C’est la jubilation que nous avons à vivre cela qui la fait passer. Dans jubilation je nomme ensemble à la fois joie et plaisir. Si on rame, cela ne fait de déclic à personne ! C’est sans doute la manière la plus vive de transmettre, car on dit parfois que transmettre c’est vivre, vivre c’est transmettre. Et là, dans le vif que quelque chose est saisi, donné, allant rejoindre chez l’autre le lieu d’une question, informulée parfois, d’un émerveillement, ou d’une nécessité .

La parole comme véhicule de la transmission.

La parole est une matière étrange. Quand on conte, on ne dit pas que des mots. On amène une vibration sonore musicale et énergétique forte. _ On fait passer un souffle, un rythme, toute une manière d’être au monde, par la voix, la présence, la chaleur, les émotions, etc.
Il faudrait parler de la mémoire orale, de sa précision et de la musique de l’autre qui reste dans la voix. Réapprendre à faire confiance à la mémoire de l’oreille, que souvent de nos jours, on refuse pour « mettre sa patte » alors que des épopées entières ont survécu grâce à elle.
La parole est une vibration, une matière sonore. Ainsi, on entre dans la musique, non pas la musicalité, qui reste esthétique ; on entre dans les harmoniques, l’effet produit sur l’autre. Je produis des ondes. Ces ondes vont s’inscrire dans le champ de l’autre. L’oreille ne peut pas se fermer… Il y a là, tout un pan de transmission non explicite qui serait à développer.
A ce propos, je voudrais en finir tout de suite avec le fantasme de la totale transparence, et les malheurs qu’il occasionne ! le conteur serait un réceptacle qui serait sensé faire passer un objet ne lui appartenant pas, venu du fond des âges et s’étant perpétué sans modification, et de le passer de manière intacte, pour une génération de plus.
Je peux témoigner pour l’avoir appris dans cette vie, de manière certaine, que c’est justement quand on croit le plus disparaître, qu’on crée le plus de « décharges ». j’appelle ainsi les moments du conte où nous transmettons nos troubles, nos peurs, etc, sans conscience. Dans ce cas là, le public repart alors avec un certain malaise, sans toujours comprendre pourquoi.
N’ayant pas collecté, je n’ai donc pas beaucoup puisé dans les bouches vivantes, sauf quelques rares contes. J’ai lu. Pense t’on aux humains qui sont derrière ces mots qu’on lit ? Dans un tapis, c’est facile de sentir la tisserande. Dans un conte sur papier, c’est plus difficile. Une jeune conteuse m’a dit dernièrement : « je ne savais pas qu’il y avait une personne derrière une histoire »… je livre cela à votre méditation….

Quand je découvre un conte, je cherche cela, j’écoute entre les lignes.
Je ne reçois jamais un conte d’un livre. Quand je le trouve, je sais qu’il s’est passé quelque chose en moi, avant, qui a généré cette rencontre, quelque chose qui m’a mise en chemin.

La transmission par le conte au moment de la rencontre et dans le travail préliminaire :

Lors de la rencontre du conte, tout est donné dans l’instant : c’est comme une « première impression » qui donne la conscience de ce que ce sera, quand on le dira, et d’à quel point il nous va bien, etc. Comme le peintre qui soudain voit son tableau.
Ensuite, on entre dans le travail, on va « au charbon » ! on entre dans le détail de la matière de l’histoire. Un conte qui me travaille, je ne dis pas le contraire (je travaille un conte), va chercher en moi ce qui le fonde, traversant diverses couches. C’est parfois un accueil, parfois un débat, parfois un combat ! C’est toujours un amour. A travers ce travail, je rencontre ce qui me relie à lui, à sa culture, à son sens, à ce qu’il porte, de manière authentique. C’est comme la rencontre d’un être ayant son axe propre. Les symboles agissent, les émotions, aussi, des consciences neuves viennent, des choses remontent, c’est un énorme travail intérieur. C’est ainsi que se fonde l’authenticité de ma présence dans ce conte. C’est ce que le conte me donne lui-même pour le connaître et me mieux connaître.
Si je le dis trop tôt, je ne suis pas centrée dans ma relation à ce conte, alors tout est encore trop actif, et il y a de la « décharge ». Dès que je sens de la joie, de la lumière, de la sécurité, dans le conte, je suis apte à le dire.

Ainsi, le conte nous polit comme on polit une pierre. Pendant ce travail, je dois maintenir l’axe de la beauté, surtout dans les couches de colère, et autres choses difficiles. Je le fais en refaisant appel à la première impression pour retourner à l’émerveillement initial. Cela ressemble aussi à relire son sujet, pour voir si on ne s’est pas égaré. C’est une vigilance. Ceci peut être long, et c’est là que travaille le « goût artistique » comme un guide pour nous aider à écouter mieux ce que le conte lui-même a à nous dire. On connaît tous cela !
A travers tout ce travail, le conte nous relie à nous mêmes, à lui, à sa culture, à l’humanité qu’il porte. Je considère ceci comme une réelle transmission. Elle se fait « en interne », dans l’intimité de la personne. Elle peut se faire légèrement accompagnée, lors des stages. Mais c’est par ce travail qu’un conte nous rend capable de le porter ! A travers lui, nous rencontrons notre propre sagesse, qui l’avait choisi...

En élargissant le cercle :

A travers ce processus, j’ai remarqué que l’on peut alors soit éveiller soit contacter, de vieilles mémoires. ce sont des affinités, des sensibilités aisées à sentir, à faire passer, une familiarité avec une philosophie, un art de vivre spécifique. Ce qu’on pourrait appeler « laisser parler l’ancêtre »…Alors on entre dans une transmission subtile.
De nos jours, on en reste encore avec le conteur régional, on associe encore le conteur au répertoire d’un peuple, d’un seul pays. On attend de lui qu’il décline son identité ethnique de chair et d’os. On n’écoute rien de son identité d’âme ! On a perdu tout cela ; le fait de se reconnaître en identité avec un peuple ou en amitié avec un inconnu du bout du monde, devient une histoire fantastique, alors que c’est une chose naturelle ! Et combien lâchent la question pour finalement ne parler que de l’aventure de vie, le récit personnel ? Mais alors, dans ces récits, où on perd l’épaisseur de l’histoire humaine, qu’est-ce qui passe, exactement ? Bien sûr que nous sommes tous des aventuriers ! Mais est-ce vraiment cela que les étoiles veulent chanter pour nous ?

Ce plan me passionne !
Quand je lis un conte nouveau, d’une culture nouvelle, une écoute se met en marche, avec la gourmandise, la curiosité, la précision et la jubilation d’un Sherlock Holmes ! Une écoute qui lit entre les lignes, déduit, sent, renifle la tradition, et le mode sensible du peuple en question, derrière le contenu du récit. J’écoute le conte et à travers lui, le peuple.

J’aime aller lentement, arriver lentement vers ce plan. J’écoute le monde que porte ce conte. Comment pensent, vivent, les gens de ce peuple ? Cette partie du travail est très profond. Dans un premier temps, je ne veux rien lire d’ethnologique, de sociologique, je refuse tout discours, toute étude savante, je bouche mes oreilles sur les savoirs qu’on veut me donner, de l’extérieur. Je laisse exclusivement le conte parler, ou ses frères du même livre, ou d’autres livres de contes du même peuple. Comme si j’écoutais ce peuple uniquement au moyen de ses contes. J’écoute les relations entre les gens, les mœurs qui sous-tendent les paroles, j’imagine les paysages, j’imagine comment on vit dans ces paysages là, je sens tout cela. Comment est-ce d’entrer chez soi par une porte ronde, en devant lever le pieds, sur le seuil, dans mes contes chinois, par exemple ! C’est très étonnant, de faire cela, car cela résonne dedans ! C’est comme écouter une musique ! Cela approfondit le travail. C’est merveilleux à faire, et très sûr ! Quand j’ai eu ensuite, l’occasion de rencontrer des peuples que j’avais écouté de cette manière là, j’ai pu vérifier la justesse de ce que j’avais reçu ainsi : je savais ce qui touchait les gens, les heurtait, etc.

Puis je commence à faire d’immenses dérives poétiques, aboutissant à des domaines apparemment très éloignés de mon sujet, étudiant la broderie chinoise par exemple, dévorant les festivals de cinéma chinois. Christian Bobin, quand il écrivit Le Très Bas : il ne lut pas une seule biographie de St François ! Il a cherché un état.
Tout cela nourrit la relation profonde à mon conte. Pendant ce travail, un alignement se fait, pas à pas, un enrichissement, aussi, qui sortira dans le blanc entre les mots, dans le corps, dans un geste devenu naturel, dans la présence spontanée et produira le sentiment d’être à l’aise, de dominer son sujet, et une solidité dans les improvisations où tout cela revient tout seul !. C’est apprendre par un mode intuitif plutôt que savant. Cultiver l’autodidacte.

Dans ma tradition, y a t’il eu transmission différente ?

Lorsqu’on travaille avec sa propre tradition de naissance, bien sûr, c’est plus dans le corps physique, on y trouve plus aisément sa terre, on s’y sent rapidement à l’aise, on y est fondé par le sang. Il y a un plan de vérité indéniable, qui est facilement lisible pour l’autre ; une légitimation naturelle, aussi, si sa propre communauté nous accepte ; mais le travail est le même, au fond.
Dans mon Salomon, il y a en arrière fond ces sept ans d’étude de quelqu’un qui a vécu le truc à fond, de tout son cœur, en sachant avoir un pied dehors et qui joue de toute cette richesse inépuisable !… Mais aussi, il y a, plus profondément, au delà du judaïsme, la rencontre de l’archétype de la Justice, qui est universel.
Mon prof de talmud me voyait avec approbation étudier avec 10 livres ouverts autour de moi (ce qui est absolument la bonne manière d’étudier !) ; mais en même temps, j’étudiais à Ste Geneviève le Salomon de l’islam, et l’éthiopien ! Je me suis gardée des fermetures, du sectarisme, de la guerre, des haines, des violences, de toute l’actualité, aussi ! j’apprenais à lutter contre les réductions de la liberté de conscience, la liberté de penser. Ce fut cette vigilance fondamentale qui a gardé mon conte dans la joie et son importance qui lui a donné si longue vie ! Dans sa propre culture, on a parfois tout ce boulot là à faire, parfois c’est lourd ainsi ; il y a le poids du peuple, le poids de la famille, etc....
Face à tout cela, je fus heureuse avec mon Salomon, car j’y unissais le sacré et le profane. Ce fut une grande joie. J’ai gardé une infinie tendresse pour le monde juif, et un grand respect pour la lumière de cette tradition. Et puis j’ai continué ma route. Mais c’était devenu un chemin sacré. Pour moi, un chemin est sacré quand la vie se confond avec le cœur et que le répertoire tente de l’exprimer.
C’est drôle comment on travaille. Il y a tant de niveaux de sens qui sont concernés ! comme si notre propre chemin était lui aussi un symbole, qu’on pourrait lire à des niveaux différents de sens, selon l’âge qu’on a ! On se dit « je travaille ça » mais en fait, des années après, on voit que tout autre chose nous travaillait déjà, en même temps !…

Quand j’ai rencontré le conte de la Colombe en Or, le conte juif me fut offert par Ben Zimet, et me sembla d’emblée sacré.
Ce texte était compliqué, voire alambiqué. Une fois simplifié des choses typiquement juives et « pour initiés », il a laissé apparaître sa structure réelle. En fait le sacré ne venait pas, pour moi, des détails juifs. C’était bien plus profond. J’y ai découvert une structure typiquement chamanique, très profonde et simple, que les Amérindiens reconnaissent comme porteur de leur sagesse et sans aucun doute d’autres peuples aussi.
Cette mixité m’a bouleversée. C’était comme dire qu’au cœur de tout, vibre une même lumière.
Tout cela nous amène tranquillement au plan des symboles. Là, le conte bouleverse. On est à la fois au plus profond de nous et dans la nature, dedans et dehors. On touche au mystère.
Au plan de notre sujet, la transmission, je dirais que le symbole est le sujet même de notre transmission et peut être de toute transmission. Il en est la matière même, mais aussi, peut-être sommes nous inclus en lui, tant ce plan là est vaste ! A ce plan là, la vie est transmission et c’est en offrant qu’on reçoit. « la Colombe en or ne peut être reçue que lorsqu’elle est transmise… ».

Maintenant, j’ai traité quelques questions en vrac, émis des doutes et des petits coups de gueule, pour amorcer le débat !

Questions et doutes.

Comment je m’arrange avec les endroits qui me dérangent :
Le conte transporte des vieux mondes. En veut on encore ? que garder, que rejeter ? N’est-ce pas toutes ces questions qu’on se pose qui amène le monde du conte à tant se chercher ? C’est une conscience nécessaire, il me semble…
Pour transmettre, je dois aimer ce que je transmets. Je fais attention à ce que je transmets, je regarde les idées que contient le conte. Quand il y a un racisme ancien, par exemple, comme dans les 1001 Nuits, je retrouve la structure, vois le symbole que cela représente, et trouve une représentation que je peux assumer. La structure symbolique est gardée. le Noir, par exemple, symbole de puissance sexuelle, je le remplace par un type attrayant ; cela devient un lieu d’improvisation, je joue avec ça, l’important étant de faire vibrer l’attrait. C’est bien plus chaud que de dire Noir ! je sais que le fantasme existe encore dans nos sociétés. Je choisis consciemment de ne pas entretenir l’amalgame par ma parole.
Vous pourriez me dire que je suis politiquement correcte ? Mais moi, je conte avec mon amour des gens. Je crois qu’un noir pourrait dire Noir et en faire un truc très bien. Moi, pour y arriver, il faudrait que je sois tellement juste que je pourrais montrer l’erreur de pensée, l’amalgame. Mais je ne suis pas sûre d’y arriver. Alors je joue avec l’endroit. Peut être est-ce cela qui rend mes 1001 nuits, « très parisiennes » comme on m’a dit au Caire ?…

Le transmetteur

_ Le conteur devient-il un amuseur ? a t’il de nos jours de nouveau honte de la tradition ? comme c’était le cas au début du siècle dernier quand les collecteurs avaient du mal à récolter les contes ? Une transmission se fonde sur des humains qui sont près à la recevoir, et d’autres qui peuvent l’accueillir. Quand il n’y a plus de cadre pour transmettre réellement, on transmets clandestinement. Ensuite c’est une question de dosage de chacun de voir jusqu’où on ose se placer en tant que transmetteur. Car se placer ainsi est délicat ! On est vite gourou truc ! c’est aussi la fameuse question de la légitimité des conteurs, un endroit de grande souffrance…
Je vois en ce moment combien nous sommes fascinés par les traditions… des autres ! J’ai vu des Spectacles africains faire rêver des jeunes conteurs qui se mettaient alors à dénigrer ou rejeter leur propre monde. Tout ceci est la porte ouverte de la perte de soi, à la fascination par l’autre, qui semble mieux… On perd la fierté d’être soi-même ! Là aussi, le goût artistique pourrait aider à trouver l’équilibre entre les nécessaires changements et la juste estime de soi.

Quelle terre pour les contes ?

Quand je raconte à une classe où se côtoient 30 ethnies, qu’est ce que je transmets ? L’amour seul, je crois, n’est-ce pas ?
Mais vais-je dire un conte africain ? mais il y a 260 langues au seul Bénin ! Vais-je dire un conte breton ? Bon dieu pourquoi donc les contes ont toujours de tels adjectifs accolés ! on devrait dire un conte de mer, un conte de forêt, un conte du malheur des frères, etc. ! Allons il faudra commencer un jour, cela, tous ensemble !
Que vais-je faire, pour que ma parole ne soit pas un simple divertissement, ou une consolation ? c’est la question de la terre des contes : comment les enraciner, en nous ?

La responsabilité.

A quelle chaîne humaine je fais appel avant moi, aujourd’hui ? Quels sont ceux qui m’ont précédée ? à qui j’emprunte ? qui me nourrit ? de quoi je me sens porteur, responsable ?
A t’on encore conscience de ces questions et de la responsabilité qui incombe à la transmission ? sait-on encore qu’une transmission est parfois lourde à porter , fait peur ? j’ai vu des gens avoir leur dos plié sous ce poids ! mesure t’on ce que c’est que de devenir un transmetteur ? sans doute, ces questions, peu posées, peu étudiées, entraînent elles les conteurs vers d’autres choix ?

L’artiste qui flotte un peu :

Cela pose la question de l’art dans le domaine du conte. Quelle est la liberté de l’artiste ? Est-ce une liberté de faire « ce qui lui plait », brisant les structures, changeant les fins, « arrangeant », manipulant les sens au gré de l’actualité ou bien ce serait la liberté d’aller à la rencontre d’une inspiration ? Là, nous retrouvons le fameux « goût artistique », seul guide, en ces domaines. Mais le conteur s’y autorise t’il, dans le cadre même de la tradition ? Il va inventer à côté, des nouvelles…
Parfois, une œuvre peut être inspirée. Accepte t’on cette union ? On entre dans le champ subtil de la poésie… C’est pourtant ainsi que la tradition est vivifiée, que des contes nouveaux descendent nous visiter, devenant merveilleusement moderne, actuels...

Les conditions de travail permettent t’elles une réelle transmission ?

N’est t’on pas toujours à voler du temps et des espaces de parole sur le divertissement ?
Qu’en est-il d’une qualité devenue clandestine dans tous les domaines artistiques ? quand un conteur donne le meilleur de son être dans des conditions difficiles ? quand il fait réfléchir, rêver, entrer en eux-mêmes, des gens qui étaient venus parfois pour rire, se détendre, passer un bon moment ?
Jusqu’où le conteur ose t’il affirmer que ce qu’il donne appartient à la culture, et donc à la formation de la pensée, de la conscience, de la présence au monde d’un être humain, des moyens qu’on lui donne pour une pensée libre et autonome ?
Quelles sont les conditions de travail qui mettent le public en état de recevoir une telle transmission aujourd’hui, réellement ? avec sa valeur, sa saveur et sa dignité ? je pose la question !

Les "pilleurs de bouche".

Actuellement, on mélange tradition orale et libre échange de produits, caricaturant l’Afrique ! c’est risible à mourir de tristesse ! la transmission d’humain à humain ne se fait plus, plus personne ne demande de contes à personne et les pilleurs de bouche viennent écouter des Spectacles uniquement pour mimer la transmission orale ! Ils croient sortir avec « des contes nouveaux » à leur répertoire !
Est-ce cela devenir conteur : accaparer des contes « prêts à dire » et les maquiller par une fausse appropriation immensément superficielle et chargée, ce qu’on appelle stupidement « personnaliser » ? et se justifier de l’Afrique pour cela ???
Que se passe t’il donc dans le monde du conte, pour que la transmission de génération à génération se passe si mal ? et que de telles contrefaçons soient bientôt la norme ???

Catherine Zarcate,
As. A Claire Voie.

Toutes ces questions ouvertes seront débattues et approfondies dans les groupes de travail qui se constituent sur le site du CMLO. C’est donc « à suivre… » !

Pour m’écrire : info@catherine-zarcate.com