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REFLEXIONS
La Sérénité du Merveilleux
par Catherine Zarcate

La Sérénité du Merveilleux.

Témoignage d’un état des recherches artistiques de CZ sur le Merveilleux. Ecrit initialement pour un échange informel avec Marc Aubaret (CMLO) sur le sujet.

Voici ce que j’ai écrit, il y a quelques jours, juste après une séance de contes avec des enfants, où j’ai conté un conte Merveilleux et senti que j’arrivais à « entrer dans le Merveilleux » :

« Ces contes, les contes Merveilleux, sont les plus durs à dire de tous les contes. Chacun est un chemin vers un Champ Sacré.
Aujourd’hui, pour la première fois, la porte s’est ouverte : j’ai pu "entrer dans le Merveilleux", et donner le conte comme il doit être donné, à des enfants qui ne cillaient même plus, tant ils écoutaient. Et moi avec. C’est quand ça nous dépasse tous, qu’on se sent ainsi faire partie de ceux qui écoutent.

Dedans, j’ai senti ainsi : prendre un léger recul par rapport aux évènements de l’histoire, pour laisser "flotter" un espace du "secret". On parle, mais les images sont des symboles et dans chaque auditeur quelque chose se fait, ou au moins, on entend que je "dis un mystère", comme si ce que je disais était "plus" que ce que je disais. Ce sont les symboles qui font ça : ils agissent. Il y a un retrait qui le permet, et aussi une sérénité. La sérénité du Merveilleux. C’est ça.... toutes les épreuves sont transformées, parce qu’elles deviennent symboliques. Les colères et autres « règlements de comptes » apparaissent clairement hors sujet. On marche sur des oeufs, sur du sensible, sur de l’intériorité.

Mon enfant radieuse, en moi, sait cela. Elle sait le faire. Elle sait dire "je vous dis ça mais ce n’est pas tout à fait de cela que je parle ; vous voyez le secret ? Je ne le sais pas pour vous, ce secret, c’est chacun le sien ! Moi, je vous parle de Farizade ou de Blanche Neige, mais c’est un secret, que je dis, qui est derrière. C’est pas vraiment de Farizade dont je parle, vous entendez, derrière ? "...
Si le conteur remplit cet espace, remplit ce vide (même avec sa propre compréhension !), c’est fini, tout est perdu, et même, c’est de la manipulation ( ou de la décharge). Mais si l’espace est laissé vide et sensible, comme des nuages qui passent, s’étirent, font des formes, tout ça, alors "ça le fait"... l’autre entre en lui-même et écoute "sa" Farizade.
c’est beau, beau !
Je disais toujours que les contes Merveilleux, ce sont les Cristaux de la psyché. j’ai toujours dit ça !!! et là, j’ai réussi à le faire ! Ah !!! ça fait plaisir !!!
C’est comme entrer dans le plan symbolique sensible, au delà du sens, mais au service du sens...

je ne sais pas du tout si on peut comprendre ces mots. c’est très difficile de parler de ça par écrit, et même de parler de ça tout court !

Les enfants m’ont beaucoup demandé si c’était vrai... c’est la question difficile de notre monde. j’ai répondu que ce n’était pas "réel" comme un autobus, mais que c’était "vrai" et qu’il fallait faire la différence. mais c’était trop difficile comme réponse. il faut que me vienne une autre, qui soit satisfaisante. car dedans, c’est vrai. mais quand on leur dit "c’est vrai dedans" ça tue pour eux la vérité de l’histoire, ça les déçoit... Ils veulent que ce qu’ils ont cru soit vrai "tout court". mais si on leur dit c’est vrai, ça a existé, ça n’est pas ça non plus, on leur ment, on se trompe de registre, et ça crée de la confusion. C’est un problème.... Les enfants ne m’avaient jamais autant posé la question. Sans doute parce que jamais comme aujourd’hui, je n’avais été crue... »

Avec la semaine qui a passé sur cette expérience, c’est l’idée de léger recul face au sens qui me semble important, de laisser vide l’espace du sens, même le sien ; pour que ça « flotte ».
Ce flottement laisse le conte se réorganiser tout à fait autrement. Quand on en arrive à laisser vide tout sens, on n’est pourtant pas perdu. On peut écouter encore plus profondément le conte.
La parole est tellement sous la domination du sens, que cette notion de s’en libérer tout à fait est vraiment intéressante.

Une autre réflexion m’est venue dans les jours qui ont suivi.

Tradition et Renouvellement

Dans notre monde, on s’accroche parfois à une forme traditionnelle, on la maintient, ou la rejette avec plus ou moins de rigidité. On cherche, entre tradition et modernité, un mariage ou un compromis le moins désastreux possible, le moins douloureux possible. Le syncrétisme tente une certaine sorte d’union des formes, comme par superposition, par analogie, enfin, à sa manière.

L’expérience ressentie l’autre jour m’a mise sur la piste d’une autre direction de recherche : celui de l’axe d’où naîtrait sans cesse des formes nouvelles, dans le cadre même de chaque tradition. Comme si chaque tradition avait son axe propre, et qu’il pouvait être un lieu de création et de renouveau, de surgissement vivant, mais gardant les fondements et principes de la tradition, ses valeurs, sa spécificité.
Une pauvre image de ce que je veux dire pourrait être celle-ci : la tradition pourrait se comparer à un feu d’artifice ; chaque bouquet d’étoiles s’épanouit et meurt, aussitôt suivi par un autre, d’une autre couleur. Si on s’accroche à cette belle rouge ou à cette belle bleu, on ne peut pas ! On est malheureux ! Mais si on cherche « ce qui lance tous ces bouquets », comme une racine profonde en nous, on peut alors facilement laisser mourir chaque forme.
Hélas, le plus souvent, les traditions ne font pas cela ; elles s’accrochent à la forme qui a surgi et s’emprisonnent dedans, la sanctifiant sans plus laisser surgir quoi que ce soit de la même source profonde.

Dans le domaine du conte, J’ai l’intuition que trouver cette source, cette racine, ferait disparaître cette fameuse coupure de l’ancien et du moderne. Il n’y aurait plus cette séparation. Le conte issu de cette source pourrait prendre en charge le renouvellement de la forme, en gardant la lumière de la tradition. Comme une feuille et un tronc. Ce qui naîtrait aurait une étrange figure, vibrant de l’ancien et du nouveau réunis en un.
C’est ce que je cherche ; sans doute ne suis-je pas la seule. Ceci nous relierait au passé, aux anciens, mais en nous donnant la dignité d’avoir trouvé notre propre forme, pour notre monde.

L’adaptation, bien sûr, est une tentative avortée, qui n’est pas le propos. Il me semble que cette racine saurait faire mieux, que de bricoler avec une forme ancienne et un décors nouveau.

Les arts en cercle
Enfin, il me semble clair que tous les arts naissent de ce centre là. Chaque praticien d’un art pourrait se laisser « éclabousser » par les autres, comme font les enfants dans l’eau.
Dans cet échange, on sentirait mieux, en soi, ce qui, dans notre art propre, émane du centre. Voilà, ce serait cela, la Merveille.
Echanger avec l’autre, en cette recherche, serait faire place à tous les chemins, à toutes les manières, pour mieux approfondir la sienne dans son essence même.

Comme les enfants font des rondes, les arts jouent. Ils jouent à faire miroiter la diversité du monde, ils jouent à montrer diverses formes, et on peut les laisser mourir si on sait qu’on a trouvé la source qui en permet le perpétuel surgissement.
Ainsi, quand les arts dansent ensemble, le centre est à la fois en chacun des participants et au centre du cercle. Les deux à la fois. Le plus souvent, on parle de l’un, ou l’autre, on cherche en soi, ou dans l’union. Dire et sentir les deux ensemble est précieux.
La tradition, ainsi, est juste, en cela qu’elle sert à l’épanouissement de l’humain qui la sert.
Et ce dernier, à chaque émergence, peut sentir la richesse, l’éternelle jeunesse, d’une tradition qui sait se renouveler de l’intérieur, au delà des vétustés, des archaïsmes, qui a la sagesse de laisser mourir ses formes.
Cette danse, si on la dessine, forme une roue.
Bien sûr…
Catherine ZARCATE 2006

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