Directeur artistique.
L’ode à la bouche !
Certains la voient telle une cathédrale avec ses colonnes d’ivoire, sa voûte ronde comme le ciel, son chœur vermeil où résonne le Verbe. Pour d’autres, elle est une grotte, toujours chaude et humide, où un dragon rouge veille sur le trésor de la Source…
Cette quatorzième édition est une méditation sur le thème de la bouche. Lieu de passage, d’échange, porte entre le dedans et le dehors, l’obscurité et la lumière, qui permet de se nourrir et d’entretenir la vie. Lieu de transformation de la nourriture visible et invisible, terrestre et spirituelle.
En Afrique, la mythologie des Dôgons compare la bouche à un métier à tisser. Les dents sont les peignes, la langue la navette, le souffle le Verbe divin qui tisse les motifs, la texture de la création. Textile et texte ont d’ailleurs une étymologie commune. La parole, la langue, la littérature tissent les liens entre les hommes, les générations, les civilisations, le monde. Mais la langue est à double tranchant. Elle peut donner la vie ou tuer, unir ou séparer. Il nous faut donc cultiver une langue commune, une belle parole, s’entendre, dialoguer sans cesse pour renouer les fils de la vie.
Cric, crac ! est une formule d’introduction des contes. C’est le son de la clé qui ouvre la porte d’où sortira la parole, la musique des mots, des histoires. Cric ! lance le conteur. Crac ! répond l’auditoire car la parole ne peut féconder les cœurs sans l’accord, l’assentiment de ceux qui l’entendent.
La bouche permet de parler, chanter, embrasser, rire, se nourrir, se régaler. Nous la célébrerons à travers le pouvoir de la parole, celle de Shérazade qui suspend la mort, celle de Boton le lièvre ou de Malice, les cousins de Renard qui, avec la ruse des mots, se tirent d’un mauvais sort et font la nique à la bêtise. Nous la fêterons aussi avec les musiques de la langue aux accents occitans, bretons, québecois, créoles, italiens ou africains. Et, bien-sûr, dans des histoires de gourmandise qui nous mettront l’eau à la bouche pour déguster les saveurs des cuisines du monde !
Le fou a le cœur dans la bouche, le sage a la bouche dans le cœur, nous dit un proverbe. La bouche est double. Elle peut aussi crier, mordre, maudire, dévorer, tuer. Elle peut se métamorphoser en une gueule béante, insatiable, comme celle du loup, de l’ogre, du dragon.
Enfin, ce lieu du Grand Passage, celui du premier et du dernier souffle, sera évoqué dans les légendes de Bretagne ou le conte de Grimm des trois cheveux d’or du diable. Le voyage initiatique dans l’Autre Monde, l’exploration du mystère qui hante l’imaginaire des hommes depuis la nuit des temps.
Pascal Fauliot
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