Il habite dans la montagne. Il y est depuis longtemps. La solitude lui pèse. Il voudrait bien partir découvrir le monde. Plusieurs fois il a fait ses valises et au dernier moment, il a renoncé.
Cette fois, c’est le crépuscule, toute la journée, il a hésité. Il s’est dit : C’est ce soir ou jamais !
Il se baisse pour saisir les poignées de ses valises mais voilà que la porte
s’ouvre. Il lève la tête. C’est la vieille de la forêt.
Il est terrorisé. On lui en a souvent parlé mais il ne l’avait encore jamais vue. Elle est terrible.
Elle est immense et toute noire dans l’encadrement de la porte.
Elle ricane : Alors, c’est ce soir ou jamais !
Il se dit : Elle est venue pour m’empêcher de partir.
Elle lui dit : Tu te dis que je suis venue pour t‘empêcher de partir.
Il se dit : Elle ne va pas me laisser passer.
Elle lui dit : Tu penses que je ne vais pas te laisser passer ?
Il se dit : Si je m’approche, elle va m’écraser !
Elle lui dit : Tu crois que si tu t’approches, je vais t’écraser.
Il se dit : Elle pense tout ce que je pense.
Elle ricane : Tu penses que je pense tout ce que tu penses.
Alors, tout à coup, il ne pense plus. Il prend un tison qui brûle encore dans la cheminée, il le jette sur la vieille et il s’élance vers la porte.
La vieille a horreur du feu. Toutes les vieilles des montagnes du monde entier ont horreur du feu et de la lumière. C’est bien connu. Elle s’efface, tout à coup, comme l’ombre qu’elle a toujours été. Elle s’enfuit, terrorisée. Elle s’arrête un peu plus loin en pleurnichant : Il a cessé de penser ! Il a cessé de penser ! Qu’est-ce que je vais devenir s’il est capable d’agir sans penser !
Arrête de penser et plonge.
Bruno de La Salle